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les cévennes

Lyon, ou du mont Pilat (crest de la Perdrix. 1,434 m.), près Saint-Étienne, la vue des Alpes est splendide aussi ; mais plus rarement encore qu’au Mézenc elle est nette, à cause des brouillards de rivières et des fumées charbonneuses ; de plus, la grande chaîne s’y présente de trois quarts et en raccourci ; du point culminant des Cévennes, au contraire, elle se dresse de face et toute droite dans son écrasante majesté.

Les premières cimes neigeuses que l’on aperçoit au nord appartiennent au massif valaisan de la dent du Midi : ce sont probablement les tours Sallières, a 250 kilomètres. La pointe de Tenneverge de Sixt (2,932 m., 243 kil.) est aisément reconnaissable à sa forme ; de même le dôme du Buet (3,109 m., 237 kil.), superposé à la dent du Chat d’Aix-les-Bains (1,497 m.) et à la Tournette d’Annecy (2,357 m.). Ensuite trône, en vrai souverain de l’Europe, l’impérial mont Blanc (4,810 m., 227 kil.[1]), qui pyramide comme le porche d’une cathédrale.

Son éblouissant gâble ogival domine de 1,000 à 1,500 mètres le reste du faîte alpin ; on nomme sans hésitation les aiguilles Verte (4,127 m.), de Bionnassay (4,061 m.), et le dôme du Goûter (4,331 m.), formant le rampant de gauche ; les glaciers de Miage et de Trélatête, plaqués en triangle sous le sommet, servent de tympan à ce fronton sublime ; l’aiguille de Trélatête ou petit mont Blanc (3,917-3,932 m.) et celle du Glacier (3,834 m.) sont les crochets du rampant de droite, pour achever la comparaison architecturale ; au nord et en arrière de l’aiguille Verte, un petit cône blanc représente très probablement l’aiguille du Tour (3,542 m.), au-delà du glacier d’Argentière. Dans le labyrinthe des chaînes secondaires, les neiges de la Tarantaise et de la Maurienne ne montrent qu’une seule cime importante, le Thuria (3,787 m.) ou les Grands Couloirs de la Vanoise (3,863 m.), trop isolée pour être plus précisément déterminée. La Grande-Chartreuse (Chamechaude, 2,087 m.) et Belledonne (2,981 m.) s’étagent au pied des Grandes-Rousses (3,473 m.), où pendent les tapis de névés. Le Vercors (Grand-Veymont, 2,346 m.) et Taillefer (2,861 m.) montent en gradins jusqu’au bas du cirque de la Bérarde, le joyau du Dauphiné, ouvert béant juste en face du Mézenc, à 40 lieues ; le glacier du Mont-de-Lans et la Meije (3,987 m.), la Barre des Écrins (4,103 m.) et ses deux crêtes nord et sud, l’Olan (3,578 m.), s’arrondissent en hémicycle : tous les détails de cet amphithéâtre décharné ressortent absolument tranchés quand l’atmosphère s’y prête de bonne grâce. Par contre, distinguer le Bric du Viso (3,845 m.), exactement aussi éloigné que le mont Blanc (227 kil.), est chose fort problématique : sa pyramide doit être presque totalement éclipsée par Chaillol (3,163 m.), flanqué de Sirac (3,438 m.) à gauche et de l’Obiou (2,793 m.) à droite. Entre le Dévoluy et la croupe superbe du Ventoux (1,912 m.), quelques crêtes brillantes des Alpes Maritimes courent obliquement vers l’Italie, indéterminables à plus de 250 kilomètres. Les plaines unies de la Provence, toutes veinées de rivières vaporeuses, semblent bien fades à l’extrémité de cette éblouissante banquise, et l’œil remonte de lui-même au nord, vers le Pelvoux et le mont Blanc. Répétons-le : vu aussi complet, le panorama du Mézenc est une des grandioses scènes de la nature et restera toujours un beau souvenir, même pour le plus vétéran et le plus blasé des alpinistes.

Nous ne pouvons terminer sans rapporter les phénomènes météorologiques particuliers que nous observâmes au Mézenc le 24 septembre 1883. Dès 10 heures

  1. Et non à 80 ou 100 lieues, comme l’a écrit le docteur Francus dans un ouvrage cependant fort bien fait, Voyage aux pays volcaniques du Vivarais, 1 vol. in-18, chez Roure, à Privas, 1878 (p. 273).