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solitude, avec les voûtes crevées du cloître en plein cintre et les dentelles de pierre qui ornaient le pourtour du chœur : achevant la destruction, les restaurateurs ont fait disparaître ces beaux débris eux-mêmes.

Le trajet d’Aubrac au signal de Mailhebiau, point culminant du système (1,474 m.), est encore assez agréable ; en suivant le rebord du plateau, en descendant au fond des cirques originaires des vallées, en surmontant l’une après l’autre, à travers le bois d’Aubrac, toutes les croupes qui les séparent, on a de magnifiques vues obliques sur les thalwegs qui courent au Lot. Du point coté 1,451 surtout, le panorama est joli. Si l’on a abordé ce canton en suivant l’itinéraire décrit ici, on aura jusque-là une impression générale satisfaisante ; mais, à partir du signal de Mailhebiau, un « mamelon parmi d’autres mamelons », le désenchantement commence. Quoi qu’en dise le Guide Joanne, et je regrette amèrement d’être obligé de le contredire, ce dôme n’offre nullement « un des panoramas les plus variés et les plus beaux que l’on puisse contempler dans le massif du plateau central ». (Les Cévennes, p. 160.) Malgré le plus généreux soleil et l’imagination la plus enthousiaste, je n’ai pu réussir à admirer de là les Causses, l’Aigoual, la Lozère et la Margeride ; tout cela est loin, bas, sans hardiesse ; le Cantal est bien plus beau vu de la Planèze : les premier plans de l’est s’affaissent en faibles talus ; ni vallons, ni arbres, ni rochers : rien que de maussades burons et de plates tourbières, où les ruisseaux promènent en flâneurs indécis leur cours ennuyé. À l’ouest, au contraire, les vallées vraiment pittoresques sont invisibles, grâce à l’insupportable étendue du sommet lui-même. Cette fâcheuse conséquence des larges croupes arrondies est encore plus déplorable qu’au Luguet, massif volcanique symétrique et pour ainsi dire frère de l’Aubrac, qui occupe la partie sud du département du Puy-de-Dôme, entre le mont Dore et le Cantal, canton d’Ardes.

À 1 kilomètre au nord du signal de Mailhebiau passe une bonne petite route de voitures, qui descend au Lot et à la station de Banassac, vers le sud-est, par la maison de refuge de Bonnecombe (1,246 m.), — des taillis de hêtres étiolés, — et le chef-lieu de canton de Saint-Germain-du-Teil (1,357 hab. la comm., 4.15 aggl.), où l’on a trouvé des poteries et des tombeaux gallo-romains creusés dans le roc.

Quant aux lacs de l’Aubrac, que l’on a traités de gouffres profonds, que l’on a gratuitement « encadrés dans des colonnades de basalte », rien n’est aussi insignifiant ; il n’y en a plus que quatre : ceux de Bord, de Saint-Andéol, de Souverols et des Salhiens. Il faut faire justice de l’hypothèse[1] qui voit dans ces grandes mares des cratères d’explosion et des bouches volcaniques ; ces amas d’eau, dont la faible profondeur diminue de jour en jour, se sont formés aux endroits où une coulée basaltique a endigué des marécages dans la direction de leur écoulement ; les ruisseaux naissants, forcés de chercher une nouvelle pente par-dessus un pli du terrain environnant, ont accumulé un étang au pied du barrage volcanique ; avant de scier cette digue, comme la Sioule à Pranal et à Pontgibaud (Puy-de-Dôme), ils ont presque partout trouvé leur voie dans une dépression du sol fangeux. Actuellement, toutes les rives qui ne s’appuient pas sur le basalte sont indécises : les mottes de tourbes, les bouquets de joncs et les flaques d’eau forment la transition insensible entre les lacs et la terre ferme ; pour contourner celui de Saint-Andéol, par exemple, vers le nord, et traverser son

  1. H. Lecoq, l’Eau sur le plateau central de la France. Paris, Baillière, 1871, in-8o, p. 317.