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l’aubrac

De quelque côté que l’on soit monté, un contraste subit arrête le promeneur arrivé au sommet de la côte. Pas un arbre à l’horizon. Des herbages dont la couleur varie avec la saison et au sein desquels scintillent des ruisseaux aux mille contours, — quelques typhons de basalte piquant de points noirs cet ensemble, — les sinuosités d’une route blanche qui a l’air interminable ; voilà tout ce qui vous saisit.

On a le plus souvent une déception devant ces horizons mornes et indécis. « C’est ça l’Aubrac ? s’écrie plus d’un voyageur. Mais la multiplicité et la variété des détails attachent bientôt. Ce n’est qu’en pénétrant ces détails que l’on peut comprendre l’attrait bizarre de la région.

Les 65 kilomètres de Saint-Flour (Cantal) à la Guiole (Aveyron) (prononcer la Iole) par Chaudes-Aigues, aux thermes célèbres, sont sans contredit la plus banale promenade d’Auvergne ; la côte de Lanau, avec sa roule en corniche sur les ravins de la Truyère, est le seul passage qui récrée l’œil ennuyé : encore la rivière, malgré ses boucles à perte de vue, paraît-elle triste au bas des gneiss dénudés ; les porphyres et les sinuosités de la Sioule (Puy-de-Dôme)[1] ont une grandeur autrement originale, et leur verdure contraste bien joyeusement avec les sombres basaltes ; tout est varié et fantastique dans la belle fissure que la Sioule s’est ouverte entre les roches cristallines et volcaniques en aval de Pontgibaud, tout se ressemble et rien n’étonne au nord de Chaudes-Aigues ; la profondeur seule a fait la célébrité du pont de Lanau. Les gorges de la Truyère sont curieuses à traverser, mais suivre sur un long parcours le développement de leurs circonvolutions serait aussi fastidieux que fatigant. Il y a cependant deux belles promenades à faire sur deux autres points dé ce cours d’eau : l’une en amont, dans le vallon du Lander, où les prairies vertes et les pentes boisées alternent avec les défilés rocheux et les noires parois d’amphibolite ; c’est un ravissant chemin pour se rendre à pied de Saint-Flour au pont de Garabit (quatre heures environ ; sentiers difficiles à trouver après le moulin de Saint-Michel) ; l’autre, bien en aval de Lanau, près de la pointe nord du département de l’Aveyron, autour de Paulhenc et de Pierrefort ; le dyke de quartz de Turland et la tranche terminale des coulées basaltiques issues du Plomb du Cantal accidentent hardiment le fossé de gneiss.

En franchissant la Truyère, on quitte la Planèze et le cône du Cantal et l’on prend pied sur le socle granitique de l’Aubrac. Pour les sources brûlantes de Chaudes-Àigues (Cantal), chef-lieu de canton (1,832 hab. la comm., 1,117 aggl.), je renvoie aux ouvrages spéciaux. Plût aux ingénieurs que l’on traversât la déclivité occidentale du plateau aussi rapidement en véhicule que sur le papier. Les singularités volcaniques sont seules intéressantes jusqu’à la vallée du Lot. Autour de la Guiole, chef-dieu de canton de l’Aveyron (1,914 hab. la comm., 956 aggl. ; (1,200 m.-1,238 m.), de nombreuses colonnades de basalte ne le cèdent pas en régularité à celles du Puy et de l’Ardèche.

Quand on arrive sur Espalion, sous-préfecture de l’Aveyron(3,935 hab. la comm., 2,511 aggl. ; 329 m.), le Lot paraît enchanteur, après les insipidités du haut pays ; il faut bien avouer que cette descente ne manque pas de beauté. Espalion mérite une journée d’arrêt : au milieu d’un cimetière voisin, la vieille église des Perses, ou de Saint-Hilarion, ou de Saint-Éloi, curieux morceau byzantin des xie et xiie

  1. V. Annuaire du Club alpin français pour 1885, p. 214.