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le mont lozère

Les savants sont à peu près d’accord aujourd’hui pour reconnaître que les Cévennes jadis, comme les Alpes aujourd’hui, ont possédé des glaciers. On en a retrouvé les traces au mont Dore et au Cantal[1].

Or, sur la Lozère même, le regretté M. Charles Martins, décédé au début de 1889, a fixé la limite d’un glacier qui a occupé le vallon de Palheres[2]. Cette découverte est même la première de ce genre qui ait été faite dans les montagnes de la France centrale ; auparavant on disait que « les altitudes des sommets, toutes inférieures à 1,800 mètres, combinées avec la latitude plus méridionale, n’avaient pas permis aux glaciers de s’y établir d’une manière permanente ».

Dans le vaste cirque du village de Costeilades les blocs erratiques de granit abondent, et, « les sommets voisins étant composés de micaschistes, l’idée d’attribuer la présence de ces blocs granitiques à des éboulements ne saurait être soutenue un seul instant. »

On voit bien les moraines latérales gauche et droite, et mieux encore la moraine terminale, correspondant à la gorge qui ferme le cirque de Costeilades, à 900 mètres d’altitude. Il n’y a point de roches polies ni striées, la glace ne moutonnant pas les schistes trop tendres et les fragments de ceux-ci ne pouvant rayer le granit. « L’ancien glacier de Palhères était un glacier de second ordre, un de ceux qui, limités au cirque qui les renferme, ne descendent pas dans la vallée… Mais les traces incontestables de son existence sont une preuve à ajouter à toutes celles qui démontrent la généralité du phénomène glaciaire à la surface de la France. » Sur le versant sud de la Lozère nous avons cru reconnaître aussi les traces d’anciens glaciers.

À 4 kilomètres en amont du Pont-de-Montvert, autour et en face des hameaux de la Veissière et de Villeneuve, entre les deux points cotés 1,146 et 1,276 sur la feuille d’Alais (n° 209), le Tarn a scié dans toute sa hauteur un petit chaos de pierres qui pourrait bien avoir été une magnifique moraine terminale ; c’est là, dans un défilé rocheux où la rivière saute gracieusement, que devait finir la langue du glacier. Immédiatement en aval, le Tarn a commencé l’œuvre inouïe de sapeur qui nous a valu les belles gorges schisteuses de Pont-de-Montvert à Bédouès et la surnaturelle crevasse calcaire de Florac au Rozier. Aux environs, et en amont de la moraine, d’énormes masses de granit sont de vrais blocs de transport ; leurs formes à peine émoussées ne sont pas l’effet du travail des météores, comme le croyait Junius Castelnau[3] : par leur texture, ils diffèrent visiblement du sol qui les porte aujourd’hui, et la douceur des pentes contredit l’hypothèse d’un éboulement ; dans tout l’espace triangulaire, dit cirque de Bellecoste, où naissent le Tarn et ses premiers affluents, des amas sablonneux de quartz et de mica (l’arène de Dufrénoy et Élie de Beaumont), dus à la désagrégation du granit, n’ont pu être déposés par les eaux, trop torrentueuses ; leur situation et leur largeur prouvent qu’une autre cause les a étendus : ces nappes de débris pulvérisés ne sont-elles pas les couches d’émeri à l’aide desquelles tout courant glacé burine le fond de son lit ? Ne trouverait-on pas sur les granits sous-jacents le polissage et les stries caractéristiques que la décomposition atmosphérique et la végétation herbeuse

  1. Delanque, Bull. de la Soc. géologique de France, t. XXV, 1868, p. 402. — A. Julien, Phénomènes glaciaires dans le plateau central.
  2. Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences, 9 novembre 1868 (1868, 2e semestre, p. 933). — M.Tandy, Bull. de la Soc. géologique, 2e série, t. XXVII, 1869-1870, p. 490.
  3. Junius Castelnau, Notes et souvenirs de voyage ; Voyage au mont Lozère, t. Ier, p. 121-157.