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Toutefois le point culminant de la chaîne, le signal de Finiels (ou Truc de Crucinas, ou pic de la Régalisse), n’est pas pour cela le plus propice belvédère : de trop nombreux mamelons l’entourent ; il faut, 3 kilomètres plus loin, se poster sur le signal des Laubies (1,660 m.) pour voir dans toute son ampleur la magistrale muraille du Méjean se dresser au-dessus de Florac et du Tarn.

Il y a 700 mètres de descente des Laubies à Runes, par de glissantes croupes d’herbes sans chemins, puis encore 14 kilomètres jusqu’au Pont-de-Montvert, pour finir cette journée, qui est bien rude (treize à quinze heures de marche), et dont la fatigue n’est récompensée que si le temps, absolument beau, fournit panorama complet. D’ailleurs on la raccourcit de moitié si l’on descend tout droit du Malpertus au Pont-de-Montvert, d’un tiers en ne faisant pas le détour des Laubies et Runes.

La traversée en largeur, du Tarn au Lot, est d’une insignifiance absolue : par le col de Finiels (à 1 kil. est du signal 1,702), une route de voitures inachevée unit Pont-de-Montvert (896 m.) au Bleymard (1,058 m.). La montée du Tarn au col, par 15 kilomètres de lacets le long du ravin de Rioumalet, est affreusement monotone, épuisante au soleil : le déboisement a tout laissé nu, sans un arbre ; les raccourcis fatiguent sans profit ; on passe au hameau de Finiels. À aucun prix il ne faut visiter la Lozère en ce sens. Sur le versant nord (du Lot), d’autres lacets tracés sur la croupe qui porte l’axe des Cévennes côtoient la grande draye des troupeaux, antique et sommaire voie, peut-être d’origine gauloise, et si importante pour l’économie rurale du pays, qu’elle figure sur la carte de l’état-major : à 1,550 mètres est une maison de refuge. Mieux vaut encore traverser le causse Méjean que franchir ainsi le mont Lozère.

On pourra remarquer que, dans les chétifs villages épars sur la montagne plateau, la plupart des maisons sont construites en blocs de granit non cimentés, et recouvertes en chaume ; très basses, elles se cachent dans les enfoncements du sol, ne restent visibles que par leur toit et présentent ainsi moins de prise aux vents qui hantent ces parages. Beaucoup de protestants y observent aujourd’hui en paix leur religion ; à Pont-de-Montvert il n’y a que quelques familles catholiques. Dans plusieurs hameaux ou communes du mont Lozère, trop pauvres pour entretenir des pasteurs, les habitants, empêchés l’hiver par la neige d’aller au prêche du Pont, se réunissent les dimanches pour chanter des psaumes, et leurs voix s’entendent du dehors, sans que l’on distingue seulement, sous le blanc linceul de givre, les masures perdues d’où elles sortent !

En somme, sous le rapport du pittoresque, le mont Lozère n’est point une merveille : sauf le roc Malperlus, ses sommets sont tous des dômes herbeux fort monotones. C’est la montagne des naturalistes et des savants, et non pas des simples touristes.

Les botanistes d’abord, sur les granits du versant nord-nord-ouest, de 1,500 à 1,600 mètres d’altitude, trouveront à profusion, à la fin de juin, une plante très rare, la Saxifraga pedatifida (Ehr.), qui, d’après M. Ch. Packe, est particulière à cette chaîne de montagnes.

Les géologues ensuite y étudieront avec profit les phénomènes produits au contact des schistes, des granits et du calcaire ; nous en parlerons au chapitre XXII, en résumant les beaux travaux de M. G. Fabre sur ce sujet.

Enfin une autre question, étrange et nouvelle dans ces pays, mérite dans la Lozère une sérieuse attention.