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CÉVENNES ET CAMISARDS

en signe de ralliement, une chemise ou blouse blanche (camisa) : leur nombre dépassa 15,000.

De Basville, il faut le reconnaître, comprit de suite toute l’importance de l’insurrection ; il fit voter par les états du Languedoc des subsides pour la construction de vingt-deux chemins royaux (l’Estrade d’Ispagnac entre autres [V. p. 24]), larges de quinze pieds, et un abonnement de 1,400 livres par an pour leur entretien. En outre, il organisa cinquante-deux régiments de milice catholique. Enfin par ses soins furent construites des citadelles à Nîmes, Alais, etc., et des redoutes sur plusieurs points de la montagne.

Dans ces pays difficiles d’accès, et contre les armées du roi, il fallait aux Camisards des chefs intelligents, qui ne manquèrent pas, quoique paysans : un boulanger, Jean Cavalier, trois bergers, Rolland, Ravenel, Catinat ; un cardeur de laine, Salomon ; d’anciens soldats, Laporte, Jeany, Castanet, etc.

De son vrai nom, Catinat s’appelait Abdias Morel ou Maurel ; il devait son surnom à l’admiration qu’il avait professée jadis pour le célèbre maréchal, en servant sous ses ordres. Robuste, féroce, très brave, mais sans initiative, il ne fut que le lieutenant de Cavalier.

Celui-ci, âme de l’insurrection, naquit en 1680 à Ribaule, près d’Anduze ; à vingt et un ans, des démêlés avec le curé de sa paroisse le contraignirent de chercher un refuge à Genève. Ce fait déjà attirait sur lui l’attention de ses coreligionnaires, qui le rappelèrent en 1702. De suite il fut libérateur désigné. Après la mort de l’abbé de Chayla, il mit en pièces les troupes catholiques qui le traquaient : de coups de main en victoires, il s’éleva au rang de chef suprême des Camisards, à l’âge de vingt-trois ans, aidé aussi « par une prophétesse, la grande Marie, qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du Saint-Esprit… Quand on désobéissait à Cavalier, la prophétesse était sur-le-champ inspirée et condamnait à mort les réfractaires, qu’on tuait sans raisonner. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. xxxvi.)

Laporte, forgeron au Collet-de-Deze, commença par empêcher, grâce à une mâle harangue, l’émigration d’un groupe de protestants découragés. Tous ses auditeurs lui répliquèrent d’un mot : « Sois notre chef. » Ainsi Laporte fut fait colonel des Enfants de Dieu. En octobre 1702, une balle l’atteignit mortellement. Rolland, son neveu, né en 1675, lui succéda.

Les Camisards noirs n’étaient que des brigands commandés par un boucher d’Uzès et qui, dans leurs expéditions, se barbouillaient la figure avec de la suie : comme ils avaient assassiné traîtreusement une jeune femme catholique, Mme de Miramon, Cavalier lui-même fit arrêter et fusiller les meurtriers.

Fléchier, Montrevel et le pape Clément XI organisèrent, pour les opposer aux Camisards noirs, des bandes de Camisards blancs ou Cadets de la Croix, qui, eux aussi, ne surent que piller et exterminer. Il fallut les réduire à leur tour.

L’exaltation religieuse et l’amour du sol natal faisaient un héros de chaque véritable Camisard. Liberté de conscience et plus d’impôts, tel fut le cri de ralliement de ce nouveau peuple de Dieu ou troupeau de l’Éternel, comme ils s’appelaient eux-mêmes. Plusieurs eurent des visions, se crurent inspirés, se dirent prophètes ; tel l’homme de Codognan, qui, dès 1686, avait entendu une voix d’en haut : « Va consoler mon peuple. » Cavalier lui-même prophétisait et prêchait à la fois.