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l’aigoual

rarement. Ainsi sont expliqués à la fois et le fait lui-même et la contradiction des observations recueillies.

Tel est le genre de problèmes que l’observatoire de l’Aigoual est appelé à étudier et à résoudre.

À propos de cette question de la visibilité des objets très lointains, ce ne sera pas un hors-d’œuvre que de parler des variations de la distance à laquelle porte la vue d’un observateur, selon l’altitude de sa station.

Par suite de la courbure de la terre, l’horizon sensible[1] est d’autant plus éloigné, la longueur du rayon visuel tangent à la sphère terrestre est d’autant plus grande, que la hauteur du point d’observation au-dessus du niveau de la mer est plus considérable.

Un calcul de trigonométrie peu compliqué, une simple résolution par logarithmes d’un triangle rectangle, basée sur la mesure du rayon de la terre et sur l’altitude du lieu, ont permis de présenter en tableau le rapport qui existe entre l’élévation d’un sommet et la limite extrême de son horizon.

Ce calcul, toutefois, se complique d’une correction nécessitée par la réfraction. La réfraction est un phénomène physique qui, par suite de la déviation que subissent les rayons lumineux en traversant obliquement les couches inégalement denses de l’atmosphère, relève au-dessus de l’horizon sensible les objets placés au-dessous, et les rend effectivement visibles quoique géométriquement cachés. Ce relèvement des objets, cet accroissement de leur hauteur réelle, se nomme coefficient de la réfraction, et varie beaucoup selon la température, la pression, l’humidité de l’air : on en a fixé la moyenne à 7,4 pour 100, c’est-à-dire que l’on multiplie par 1,074 le résultat du calcul trigonométrique.

  1. L’horizon mathématique, ou géocentrique, ou astronomique, est un plan perpendiculaire à la verticale du lieu et passant par le centre de la terre. — L’horizon réel ou rationnel est un plan aussi perpendiculaire à la verticale, mais tangent à la surface de la terre au point d’observation. — L’horizon sensible, ou apparent, ou visible, est le grand cercle qui limite la vue de l’observateur, — qui sépare le ciel de la terre, — et qui est déterminé par les rayons visuels tangents à celle dernière, supposée exactement sphérique.
    L’écartement vertical entre l’horizon mathématique et l’horizon réel égale toujours le rayon terrestre. La figure géométrique de l’horizon sensible n’est pas un plan, mais un cône ayant pour sommet la station, pour génératrice le rayon visuel tangent à la sphère, pour base le cercle qui limite la vue. On appelle dépression l’angle que fait la génératrice avec l’horizon rationnel. Par l’effet de la courbure de la terre, la longueur de ce rayon visuel augmente avec l’altitude du point de vue.
    Pour le Mézenc (V. chap. XX), haut de 1,754 mètres, elle est de 159 kilomètres, c’est-à-dire que le rayon visuel mené de ce sommet au bord d’un horizon supposé au niveau de la mer et non accidenté, comme c’est le cas pour la Méditerranée, a 159 kilomètres de longueur. On devrait appeler celle ligne la distance ou le rayon de l’horizon maritime. En effet, le rayon sensible est représenté en plan par un cercle et possède un diamètre constant seulement quand le point de vue est en plein océan, le Baerenberg (1,950 m.) de l’île Jean-Mayen, par exemple : de ce pic, la vue s’étend partout à la ronde à une distance de 168 kilomètres environ, parce que de tous côtés la mer la limite. Mais la ligne d’horizon devient sinueuse et irrégulière lorsque des montagnes sont aux derniers plans d’un panorama, celles-ci peuvent être assez éloignées pour que leurs bases se trouvent au-dessous et en arrière de l’horizon supposé maritime, tandis que leurs sommets le dépasseront ; l’altitude du point de station et celle du point visé se combinent alors pour rendre la portée des yeux plus grande que si la mer fermait le panorama, pour allonger dans la direction des montagnes le rayon de l’horizon sensible. Ainsi le mont Blanc, à 227 kilomètres du Mézenc, dresse au-dessus de l’horizon ramené au niveau de la mer toute la partie de son élévation dépassant l’altitude d’où la vie s’étend à 68 kilomètres (159+68=227) : celle altitude est de 325 mètres. Donc, si l’Océan seul séparait les Alpes des Cévennes, le rayon visuel parti du Mézenc serait tangent à la surface de la mer à 159 kilomètres de distance rayon de l’horizon maritime): prolongé de 68 kilomètres en ligne droite, il rencontrerait la masse du mont Blanc à 325 mètres au-dessus de sa base, qui resterait invisible, les 4,485 mètres supérieurs de la montagne émergeant des flots. L’horizon sensible n’est donc pas toujours un grand cercle ; c’est plutôt la succession des plans verticaux qui bornent la vue de l’observateur, cette succession décrit une circonférence seulement dans le cas où la mer forme partout la limite de la vue. Inutile d’expliquer comment tout ceci est la conséquence de la sphéricité du globe terrestre et de la courbure de sa surface ; c’est le phénomène du navire qui s’éloigne et dont les hautes voiles disparaissent les dernières.