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n’ai pu, à midi, par un temps sans nuages, distinguer la Méditerranée, éloignée de 18 lieues seulement. Les ciels couverts sont souvent préférables aux plus beaux jours, parce que les couches de nuées s’opposent comme un écran à l’évaporation rapide, pourvu toutefois qu’elles soient hautes et ne coiffent pas obstinément les cimes.

On comprendra aussi par là pourquoi l’heure de l’aurore est tant recommandée aux amateurs de panoramas étendus : à ce moment, la chaleur du soleil n’est pas encore assez forte pour mettre en jeu l’évaporation, qui ne tardera pas à troubler l’atmosphère ; les basses couches d’air étant calmes, on voit fort loin au lever du soleil.

À propos de cette influence de l’évaporation se pose naturellement ici un curieux problème de météorologie relatif à la prévision du temps. On a constaté que la visibilité des lieux très éloignés était fréquemment un signe précurseur de la pluie : les observations insuffisantes et souvent contradictoires réunies jusqu’à présent ne permettent pas d’ériger en loi cette remarque empirique. Du 1er juillet 1879 au 1er mai 1880, les Alpes ont été visibles 4 fois à Lyon ; 19 fois la pluie a suivi l’apparition ; pour le mois de juillet 1879 seul, 10 apparitions, 7 fois suivies de pluie[1]. Bien que non passé encore en force de chose jugée, le fait est assez singulier et fréquent pour mériter une explication.

On a proposé celle-ci, inadmissible d’ailleurs : quand l’atmosphère est saturée d’humidité, quand par conséquent la pluie est imminente et subordonnée au plus petit abaissement de température, sa limpidité est parfaite ; la vapeur d’eau enveloppe, alourdit et fait tomber à terre les poussières en suspension dans l’air, qui se trouve ainsi éclairci, filtré. Voilà, dit-on, pourquoi un horizon pur présage de la pluie. Cette hypothèse est inacceptable : pour que la légère vapeur d’eau ait la force d’abattre sur le sol les poussières aériennes, assurément plus lourdes qu’elle-même, il faut qu’elle soit condensée à la surface de ces corpuscules : alors seulement ils se précipiteront, entraînés par le gaz humide liquéfié, par la vapeur condensée qui les surcharge, mais on aura en même temps, sinon de la pluie, du moins un brouillard dont l’effet ne sera pas précisément d’augmenter la sérénité de l’atmosphère ; la condensation de la vapeur se manifeste toujours par une chute de brume ou d’eau. L’erreur du raisonnement qui précède est flagrante : elle consiste à admettre qu’un gaz impalpable, plus ténu que l’air, puisse, sans être condensé, adhérer à un corps solide et le presser assez lourdement pour en occasionner la précipitation.

Il vaut bien mieux supposer qu’à travers une atmosphère saturée d’humidité le soleil ne peut plus pomper l’eau de la terre, que l’évaporation s’arrête et qu’avec elle cessent le tremblotement et la vibration de l’air : dans le calme absolu de l’espace, les détails de l’horizon le plus éloigné se profilent alors dans toute leur netteté. Mais que le souffle glacé du nord produise un brusque refroidissement[2], que les vents de mer amènent leur contingent de nuées, la perte de chaleur ou l’apport de nouvelles vapeurs déterminera bien vite la condensation et précipitera les averses. Si nulle brise, au contraire, ne vient détruire l’équilibre instable de la saturation, la limpidité peut coexister avec le beau fixe, et le pronostic de pluie être mis en défaut ; mais ce cas se réalisera plus

  1. V. M. Jays, de la Visibilité des Alpes considérée comme pronostic du temps. Lyon, 1880, in-8o de 20 p.
  2. Personne n’ignore que la condensation de la vapeur d’eau résulte de l’abaissement de température et que le refroidissement de l’air amène, sous les ciels nuageux, la précipitation de la pluie.