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les cévennes

mant petit cloître roman et ogival, bien conservé, sert de frais promenoir en été ; dans l’église se range le foin ; la salle capitulaire subsiste aussi. Et ces restes austères, appropriés sans dégradation à leur moderne usage, ne manquent pas de cachet dans leur solitude. Fondé à la fin du xiie siècle, le monastère fut supprimé en 1772 ; les constructions subsistantes datent du xiie au xve siècle. Aux environs se voient plusieurs dolmens[1].

La route nationale d’Espagne et de Perpignan à Paris, après avoir dépassé Lodève, ne s’élevait jadis sur le Larzac, dans la direction de Millau, que par un très long détour vers l’est. Elle quittait la Lergue à Soubès (266 m.), traversait le beau cirque calcaire de Saint-Étienne-de-Gourgas (300 m. ; 448 hab. la comm., 231 aggl.), liséré de cascades, aux gradins chargés de châtaigniers, profond de 455 mètres, large de 4 kilomètres et appelé la Fin du monde, atteignait le plateau à Saint-Pierre-de-la-Fage (627 m.), et se recourbait là à angle droit au nord-ouest vers le Caylar, en laissant à droite la route du Vigan par Madières.

Tout récemment rectifiée, elle suit maintenant, droit au nord, la rive gauche de la Lergue (dont les flots roulent beaucoup de galets de basalte noir arrachés aux volcans éteints d’alentour), par Soubès et Pégairolles (310 m.), effectuant peut-être la plus grandiose escalade de causse qui existe : le pas de l’Escalette. En larges méandres, elle se hisse, magnifiquement dominante, entre les grandes murailles qui resserrent de plus en plus le défilé de la Lergue ; ce qui lui donne plus de beauté qu’à aucune des voies tracées aux flancs du Sauveterre, du Méjean et du Noir, c’est que la rivière chante en contre-bas parmi les arbres, ravine alpestre emboîtée dans le fond d’un cañon caussenard. Les dolomies supérieures ont 120 mètres de hauteur, et derrière leur sommet des chaos de pierres (nommés dans le pays le Roc) rappellent un peu Roquesaltes ou Madasse. Vers la source de la Lergue, que cache à l’ouest un pli de terrain, un petit cirque se recourbe, un puits plutôt, au fond duquel le voyageur est surpris de voir bondir du terrain calcaire la vigoureuse cascade de l’Escalette, qui moud le blé du moulin du Viala (éboulement récent). À 623 (ou 616) mètres, le vallon de la Lergue se clôt : les roches, de 80 mètres de hauteur, ne laissent qu’un étroit passage à la route seule ; c’est un portique, un pylône égyptien, le pas de l’escalette, plus architectural encore que le roc de la Bouillère à Meyrueis. Trop court est ce corridor géant, qui légitimerait à lui seul le voyage à Lodève, si Sorgues n’était sur la route et Mourèze tout à côté ; et derrière, changement à vue : plus de vallée, plus d’eau, plus d’arbres ; à gauche, on laisse Saint-Félix-de-l’Héras (103 hab. la comm., 47 aggl.), d’où un sentier descend au vallon de l’Orb, né dans les mêmes prés que la Lergue ; puis, à 3 kilomètres du pas, on atteint 755 mètres d’altitude, et le causse morne recommence. On ne le quitte plus jusqu’à Millau, distant encore de 40 kilomètres (59 de Lodève). À pied, ce parcours est trop ennuyeux pour être possible ; en voiture, il n’y a qu’à dormir. Sur place, rien à voir de plus que sur la carte ou le Guide Joanne : le Caylar (714 hab. la comm., 679 aggl.), chef-lieu de canton, autre exil de juge de paix, route du Vigan, débris de remparts et vestiges de voies romaines ; — à la Pezade (763 m.), auberge, gendarmerie, routes de Cornus et du Mas-Raynal à l’ouest, limite de l’Aveyron et de l’Hérault, pierres, taillis, rochers, pâturages,

  1. 1. V. F. Bourquelot, Notice sur le prieuré de Saint-Michel-de-Grandmont, etc. : t. XXI des Mémoires de la Société des antiquaires de France, 29 décembre 1851 ; — Vinas, Mémoire sur les monuments druidiques des environs de Lodève ; Lodève, in-8o, 1866 ; — Baron Taylor, etc., Languedoc, t. II, 2e partie, pl. 264 bis et ter.