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comme ceux voisins de Maubert, mais bien réunis, à 206 mètres d’altitude, au fond d’un amphithéâtre de petites montagnes escarpées qui les dominent de tous côtés (pic de Vissous [482 m.], chapelle de Sainte-Scholastique [504 m.], signal de Saint-Jean-d’Aureillon [526 m.]). Coïncidence singulièrement fortuite, le ruisseau qui passe au milieu de ces monolithes s’appelle la Dourbie, comme la rivière de la Roque-Sainte-Marguerite. Ce qui accroît de beaucoup l’étrangeté du lieu, c’est qu’un village se dissimule dans ce labyrinthe : le principal roc, couronné des restes d’un castel, est plus haut que le clocher de la vieille église élevée à sa base ; derrière chaque pyramide se cache une maison ; beaucoup de chaumières ont la roche même pour toit ou pour mur de fond. Ajoutez que les mûriers et les oliviers y poussent, chaudement abrités de toutes parts ; jetez par-dessus le sombre azur du ciel méridional ; notez que l’étroit passage que s’est frayé la Dourbie est l’unique entrée du cirque, où se développe en vrai coup de théâtre l’entier panorama de Mourèze, et vous comprendrez que cette curiosité extrême des Cévennes n’est pas la moins surprenante.

« Pour le poète comme pour le pâtre, Mourèze a été certainement habité, bien avant les Celtes, par des génies fantastiques, qui ont taillé les montagnes et les rochers au gré d’une bizarre imagination. Le clair de lune, qui prête une existence si vague et si mélancolique aux ruines des monuments des hommes, crée, au milieu de ces rochers, les images les plus étranges : ce sont quelquefois des fantômes humains errant parmi des édifices inconnus, mais toujours grandioses ; d’autres fois, des monstres qui ne peuvent habiter qu’un monde livré aux gnomes.

« Au jour, c’est simplement une roche dolomitique dont la désagrégation, facilitée par l’influence des agents atmosphériques, donne lieu aux formes les plus capricieuses. » (Baron Taylor, etc., Voyage en France, Languedoc, t. II, 2e partie ; 1837, avec excellentes planches, 257 ter et 264, représentant un clair de lune.)

Lodève aussi (175 m., 9,532 hab. la connu., 8,262 aggl.) est digne d’un arrêt, un peu pour sa cathédrale Saint-Fulcran (xiiie et xvie siècles), beaucoup pour la beauté de son lumineux bassin, que réchauffé la réverbération du soleil contre le rempart du Larzac, élevé de 600 mètres, et qu’enrichissent la vigne et l’olivier ; et surtout pour ses environs, où des routes sont des avenues de platanes centenaires, où les sources tombent en cascatelles des hautes grottes[1], où le vent du nord ne descend jamais, étant retenu derrière les créneaux du causse.

L’évêque saint Fulcran y mourut le 13 février 1006 ; les calvinistes, en 1573, traînèrent par les rues son corps entièrement conservé et le brûlèrent ; les catholiques purent en sauver une main, que l’on gardait encore comme relique au xviiie siècle. Le cardinal de Fleury, ministre de Louis XV, y est né le 22 juin 1653. À une heure et demie de marche vers l’est, sur un plateau boisé que sillonnent de verdoyants ravins aux clairs ruisseaux et d’où s’aperçoit un coin de Méditerranée, le monastère de Saint-Michel-de-Grammont[2] ou Grand-Mont (environ 400 m.) est devenu une jolie propriété de plaisance et de rapport : le char-

  1. De Gériols, la Vacquerie, Labeil et Mas-de-Rouquet, curieuses et explorées en 1889, par M. et Mme J. Vallot. (V. Annuaire du Club alpin pour 1889, p. 145 ; V. aussi supra, p. 150.)
  2. V. Renouvier, Anciennes Églises du département de l’Hérault ; — Mém. de la Soc. archéolog. de Montpellier, t. Ier, p. 336; — id. Histoire des antiquités architectoniques de l’église de Lodève et du prieuré conventuel de Saint-Michel-de-Grandmont ; Montpellier, in-4o, 1859.