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bramabiau

Il fallut pourtant se décider à mettre pied à l’eau, car nous avions rejoint latéralement la rivière issue de la salle du Dôme, que Foulquier avait vainement tenté de suivre ; le bateau, même démonté, n’avait pu descendre jusque-là ; il n’y avait plus de complaisantes galeries en Y, et nous nous retrouvions au bord du courant, profond de 30 centimètres à 4 mètres, dans une galerie large de 1 à 2 mètres, haute de 10 à 20 mètres, toute pareille et faisant suite (la boussole nous l’affirmait) à celle que nous avions remontée la veille. Ainsi les deux extrémités étaient explorées ; il n’y avait plus qu’à les souder : mais le plus difficile restait à faire. Blanc, Foulquier, Armand et moi, nous nous risquâmes seuls dans le torrent. Les autres, redoutant les bains involontaires, rebroussèrent chemin vers le tunnel ; Poulard, occupé en arrière à renouveler la provision de bougies, ne put se joindre à l’escouade de tête. Il était 10 heures et demie : depuis deux heures et demie nous étions enfouis dans les arcanes du Bonheur ; le même temps allait nous être nécessaire pour déboucher à Bramabiau.

Les 25 ou 30 premiers mètres ne présentèrent pas d’autre difficulté que de nous contraindre à marcher dans l’eau jusqu’aux genoux ; mais un grondement rapproché annonçait une cascade, qui apparut bientôt sur notre droite, et haute de 4 à 5 mètres, au débouché d’une galerie latérale remplie par un autre torrent (sans aucun doute le produit de la première perte). Au confluent, la rivière devenait plus large et plus profonde ; franchir la cascade était la seule ressource pour continuer notre expédition, et la position que nous dûmes y prendre pour effectuer cette manœuvre délicate lui valut, séance tenante, le nom caractéristique de cascade du Bain de Siège, appellation prosaïque, mais sincère !

À partir de ce moment, la marche en avant ne fut plus qu’une série de tours de force de gymnastique : selon la largeur de la galerie, qui variait de 1 à 3 mètres, — selon la praticabilité des corniches et des saillies rocheuses, — enfin selon la profondeur du courant, nous avancions, bras et jambes en croix, en travers et à plusieurs mètres au-dessus du torrent, — ou nous nous accrochions des doigts et des pieds à l’une des parois, l’estomac collé au mur, — ou bien enfin nous nous laissions choir dans l’eau parfois jusqu’à la poitrine, et de 2 mètres de hauteur. L’extinction fréquente des bougies, provoquée par nos brusques évolutions ou par le courant d’air assez violent, le ruissellement de nos vêtements trempés, la difficulté de nous entendre parmi le vacarme des flots, grandissaient encore les obstacles matériels semés sous nos pas. Une grande poche latérale de la rive droite, longue d’environ 40 mètres, nous permit, heureusement, une halte bien gagnée, et la salle du Repos fut bien vite et fort à propos baptisée. Un peu en aval, et toujours à main droite, un trou dans la muraille vomissait une source puissante, d’origine inconnue. Au-delà, une expansion de la galerie, remplie par un petit lac ou bassin, parut devoir nous arrêter ou nous forcer de nous mettre à la nage ; avant de recourir à cette dernière extrémité, je me hissai avec Blanc sur une étroite corniche de la paroi droite, à 4 mètres au-dessus de la rivière ; en face, une cavité noire dénonçait la bouche d’un petit couloir qui tournait le bassin ; mais la galerie n’avait pas ici moins de 2 mètres de large, la cavité s’ouvrait plus haut que notre corniche, et, faute de recul, nous ne pouvions tenter un saut qui nous eût précipités dans une eau très profonde et projetés la tête contre le roc. Alors, levant les bras en l’air, Blanc se laisse tomber en avant et en travers du sombre torrent ; ses mains s’abattent en face sur le rebord du trou ; mais comme, malgré sa grande