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la grottologie

elles ont-elles successivement cassé sur les écueils du Tarn, juste au niveau de ces trous, sans interrompre d’ailleurs la promenade. Cela donne la meilleure preuve de la solidité de la coque, puisque là où l’armature casse la toile ne crève pas ; une sommaire réparation suffit, d’ailleurs, pour assurer l’excellent service du bateau et pour éviter tout nouvel accident. Je crois néanmoins qu’il faut, sans hésitation, donner même force à tous les couples et, en tous cas, placer les plus larges sous les avirons.

J’ai omis d’indiquer que l’imperméabilité est obtenue par un vernis hydrofuge spécial (waterproofing fluid), dont le constructeur paraît avoir le secret. Quand le bateau est depuis longtemps à sec, il prend légèrement l’eau pendant la première heure de navigation, mais devient absolument étanche dès que l’étoffe est dilatée par l’immersion. Tous les ans seulement il faut procéder à une réimperméabilisation complète.

Bateau d’Osgood démonté.

La question du transport est le triomphe de l’objet : le tout se plie, se démonte, se dévisse et se case dans une solide malle ordinaire en bois ; pour le type n° 2 (à deux personnes), cette malle, d’environ 1 mètre de longueur sur 45 centimètres de largeur et de hauteur, pèse, pleine, 50 kilogrammes. En sorte que, moyennant la taxe courante de 0 fr. 10, deux promeneurs peuvent confier au fourgon de bagages leur colis fort peu extravagant, et gagner sans plus de frais de port telle rivière qu’il leur convient de parcourir : au point d’embarquement, la malle vide s’expédie, par messagerie ou petite vitesse, à la station la plus proche du terminus de l’excursion ; en deux paquets légers (12 à 13 kilogr.), bateau et agrès sont portés au bord du cours d’eau, qui, quelques minutes après, reçoit les touristes et leur nef, le tout à la fort risible stupéfaction des gamins, badauds et employés de chemins de fer ou d’octroi.

Que de douaniers m’ont regardé de travers quand, rentrant de promenade dans la capitale, je répondais à leur investigation sur ma malle (d’un ton, je l’avoue, quelque peu goguenard) : « C’est un bateau ! » Aucun cependant n’a encore poussé la curiosité jusqu’à exiger, en pleine salle des bagages, le montage justificatif de la denrée suspecte. Grâces soient rendues à cette courtoise discrétion !

En route, s’agit-il de tourner un barrage, une écluse, une usine, un moulin : voilà les indigènes de s’apitoyer : « Vous ne passerez pas ! Il faudra peiner pour remonter la rivière ! Que venez-vous quérir par ces côtés ! C’est du mauvais pays pour la promenade, » etc., etc. Et tous ces réconfortants propos vont encore leur train que la barque, enlevée comme une plume sur deux épaules qui la sentent à peine, file déjà de l’autre côté de l’obstacle loin des Gros-Jeans ébahis.

Voilà le charme de l’Osgood-Boat : c’est un passe-partout, car ses dix centimètres de tirant et sa légèreté extraordinaire lui permettent d’affronter toutes les eaux. C’est le vrai bateau des indépendants qui, loin de la civilisation à outrance, aiment les paysages ignorés, le déjeuner en plein air, le bain libre et la nature vierge ; c’est aussi celui de l’explorateur qui se confie, pour la géographie ou les sciences naturelles, aux eaux sauvages ou souterraines.