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cadavres des malheureux qu’il y faisait jeter la nuit, une pierre au cou ; le peuple l’appelait « le diable sous une peau d’homme ». Enfin Paris implore le duc de Bourgogne et ses cabochiens : Perrinet Leclerc leur livre la ville (29 mai 1418) ; le connétable, trahi par un maçon chez lequel il s’était caché, est jeté à la Conciergerie, puis massacré, avec six évêques, nombre de magistrats et 3,500 Armagnacs, le 12 juin 1418. « On les incisait sur le dos en forme de bande, à cause de leur nom de bandés » (la bande blanche du blason d’Armagnac)[1]. Isabeau de Bavière ressaisit le pouvoir, mais Jean sans Peur à son tour fut assassiné au pont de Montereau le 10 septembre 1419, et la fatale reine en vint à livrer le royaume à l’Angleterre, par le honteux traité de Troyes (1420).

Voilà l’histoire de France, navrante ! Celle de Peyrelade n’est pas moins tragique et s’y rattache par les noms.

En 1401, le castel appartenait à Géraud III d’Armagnac (branche cadette), comte de Pardiac, vicomte de Creissels et de Fézenzaguet ; son fils aîné Jean était devenu l’époux choisi par Marguerite, comtesse de Comminges, aimée de Bernard VII. De là naquit la haine, féroce. Bernard accusa Géraud d’avoir cherché sa mort, d’avoir tiré la dague contre lui, d’avoir voulu l’envoûter dans un cachot ; il ouvrit une enquête, au cours de laquelle un témoin déposa que Géraud s’étant enfermé dans une chambre du château de Plume, au mois de mai 1400, y avait fait tirer par ses écuyers, d’une caisse bien fermée et couverte d’un drap vert, trois images de cire de trois différentes couleurs, dont l’une était longue et les deux autres plus courtes, enveloppées dans de la toile ; qu’après les avoir découvertes, il avait fait apporter un livre devant lui, et que, l’ayant pris en ses mains, il avait proposé à Guillaume de Carlat, licencié en droit de Rabastens, de jurer de le conseiller sur ce qu’il lui demanderait ; Géraud lui promit 7,000 francs d’or et lui dit : « Monsieur Guillaume, vous êtes présentement sous mon serment. Je cherche la mort de celui qui se fait comte d’Armagnac, et je veux avoir ses biens, sa femme, ses enfants et ses nièces, pour en disposer à mon plaisir ; c’est pourquoi j’ai fait faire ces trois images à Milan, en Lombardie, par des gens habiles, et je vous ordonne de les faire consacrer au château de Montlezun par Jean d’Astarac, qui demeure à Montgiscard et qui a le livre consacré. »

Il n’en fallait pas tant pour déclarer la guerre. Bernard s’allia Amaury, seigneur de Sévérac, plus tard maréchal de France ; deux mois de siège leur livrèrent Peyrelade, dont, en récompense, Amaury recouvra sa part, qu’il avait perdue depuis 1385. Géraud fut pris, conduit à Rodelle en Rouergue, enfermé dans une citerne, nourri de pain et d’eau, et mourut au bout de dix jours (1403). Ses deux fils, Jean, l’époux de Marguerite de Comminges, auteur involontaire de la perte de sa famille, et Arnaud-Guillaume, se rendirent à merci ; l’aîné, mené au château de Brousse, près Rodez, fut privé de la vue au moyen d’un bassin de métal ardent passé devant ses yeux, et succomba à ses misères ; le second, envoyé à Rodelle même, mourut de saisissement en arrivant devant cette prison où avait péri son père.

Le connétable fut inhumé dans l’abbaye de Bonneval (Aubrac).(V chap. XIX.) Comme Bernard, Amaury expia sa participation à tous ces crimes ; le propre

  1. Dom Dom Clément, Chronologie historique des comtes du Rouergue et de Rodez ; — 2e édit. de l’Art de vérifier les dates, 1770, in-fol. p. 737; — Abrégé chronologique et généalogique des comtes et vicomtes de Rouergue, etc. 1682, in-4o.