Page:Martel - La Côte d’Azur russe.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
INTRODUCTION

regarder davantage », — le Nouvel Athos (sans un mot sur la montagne d’Ibérie — les Abkhases, — Soukhoum, et c’est tout ! Neuf ans plus tard, quels changements !

Les vieux bardes grecs ont déroulé le mythe de la Toison d’or et l’épopée des Argonautes dans le pays de Colchide ; le Rion actuel, qui emmarécage les alentours de Poli, serait le fleuve Phase, remonté par la nef de Jason vers la demeure d’Aétès, extrémité du monde, lit du soleil et berceau des races humaines ; Mingréliens et Imérétiens occupent maintenant les forêts d’Ares et de Médée, à la lisière même de ce qui sera la Riviera russe.

Comme les dolmens de Pchada et de Touapsé restent, en chronologie datée, aussi muets que tous les témoins de préhistoire ou protohistoire, il faut rechercher au nord-ouest de Poti la plus vieille notion historique relative aux rivages d’Abkhasie et de Circassie, c’est-à-dire dans les colonies grecques qu’y auraient fondées les Milésiens sept ou huit siècles avant Jésus-Christ.

Pendant les travaux de construction de Gagri (1902-1903), de menues antiquités helléniques ont été ramenées au jour par les terrassiers du prince d’Oldenbourg. On ne saurait nier que les Tcherkesses devaient à leurs plus lointains ancêtres aborigènes l’hérédité de leur farouche et fiêre indépendance, trop sauvage pour avoir laissé des annales historiques ; car le grand Mithridate Eupator lui-même[1], après ses victoires sur les Scythes de Tauride (110 av. J.-C.) et l’établissement de son protectorat en Crimée, à Chersonèse et à Panticapée, ne réussit point à soumettre les tribus circassiennes entre le Caucase et la mer Noire ; de ce côté, l’extension du royaume de Pont fut limitée à la Colchide, et le poste militaire de Gagri, défilé stratégique de premier ordre, dut être son dernier fort d’observation ou son boulevard le plus avancé contre les Tcherkesses d’il y a vingt siècles. Pas davantage les Romains ne parvinrent à les réduire, et cela est prouvé par l’absence de toute ruine romaine en deçà de Gagri, et surtout par ce fait significatif que la source sulfureuse de Matsesta ne montre aucune trace d’aménagement antique : une pareille richesse naturelle n’eût certes point été négligée par les Romains, si grands amateurs d’eaux thermo-minérales que, partout où ils les ont rencontrées, ils les ont savamment captées, et nous ont laissé les importants débris de leurs bains modèles, depuis Bath (Angleterre) jusqu’en Algérie et en Asie Mineure. La Colchide même ne fut point érigée en province romaine ; le nom d’Ibérie donné par Trajan à la Caucasie occidentale est demeuré éphémère ; enfin la forteresse colossale, relativement bien conservée encore, dont cet empereur arma la montagne dite précisément d’Ibérie, à Novi-Athon, dénonce suffisamment quels risques perpétuels courait en ces parages la domination de l’Occident.

Des apôtres chrétiens vinrent y prêcher l’Evangile dès le quatrième siècle, et Justinien, après avoir guerroyé contre les Lazes de Colchide (de 349 à 556), catéchisa l’Abkhasie avec un succès définitif ; nous visiterons ses curieuses églises de Pitzounda (réduction de Sainte-Sophie de Constantinople), de Saint-Siméon à Novi-Athon, etc., debout (il est vrai restaurées) depuis quatorze cent cinquante ans ; et nous savons que l’architecture sacrée de l’Abkhasie à Lichnii, de la Géorgie, à

  1. V. Théod. Reinach, Mithridate Eupator, roi de Pont, Paris, 1890.