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LA COTE D’AZUR RUSSE

des bras pour provoquer un magnifique essor productif. Et si, par la consultation, en quelque sorte, qu’on a bien voulu me demander, on a cherché à s’éclairer sur la valeur comparative, par rapport aux célèbres sites de l’Europe, du Caucase occidental maritime, on m’a mis dans l’agréable posture de fournir une réponse aussi formelle que favorable : oui, le gouvernement de la mer Noire et l’Abkhasie sont une accomplie merveille, naturellement préparée de tous points à un avenir de Riviera d’Orient, et par laquelle la grande Russie peut être à bref délai dotée d’une concurrence nationale à la Côte d’Azur et de Ligurie.

Seulement, la conviction la plus louangeuse ne devant jamais exclure la sincérité éclairée, on me laissera déclarer nettement, dans l’intérêt môme de l’entreprise commencée, que deux défauts essentiels devront y être corrigés pour assurer la prospérité rêvée : il y a d’autant moins de scrupules à formuler ce restrictif aveu, que la correction est plus que possible, je veux dire réalisable par les plus praticables moyens. L’un est la création, depuis longtemps à l’étude, d’une voie ferrée reliant Novorossiisk à Poti ; ceci est la condition sine qua non, le facteur indispensable, l’appoint nécessaire à l’avenir de ce littoral. Car sa nature est telle que l’actuel moyen de communication par bateaux à vapeur se montre de plus en plus insuffisant. Entre les deux ports, sur 450 kilomètres de côtes, il n’existe que deux havres de refuge pour les grands navires. (La baie de Guélendjik, en effet, est trop proche, 30 kilom., de Novorossiisk pour être utilement aménagée.) A Touapsé (130 kilom. de Novorossiisk), on a créé à grands frais et l’on améliorait en 1903 un port, accessible maintenant aux grands paquebots à vapeur ; ensuite à Soukhoum, qui, sans posséder un véritable port, offre cependant une baie de mouillage ; si bien que, sur toute la côte inhospitalière, entre Touapsé et Soukhoum, le service des voyageurs et des marchandises n’est assuré que par des barques (felouques) entre la terre et les navires ; ceux-ci doivent stopper de 500 à 1,500 mètres du bord ; par les grosses mers, fréquentes en ces parages, le va-et-vient, qui d’ailleurs fait perdre de longues heures à chaque escale, est impossible en raison du surf ou déferlage des lames : durant mon séjour, j’ai vu fréquemment les services réguliers interrompus plusieurs jours de suite, les paquebots ne pouvant jeter l’ancre en pleine mer et l’accostage des felouques étant impossible ; on m’a cité des personnes qui, se rendant à Sotchi ou à Gagiï, ont vu jusqu’à quatre fois de suite, en deux navettes successives, leurs bateaux contraints de brûler tout arrêt entre Novorossiisk et Soukhoum[1] ; moi-même, pour une excursion de Sotchi à Touapsé, j’ai dû attendre deux jours pleins et une nuit presque entière sur la grève, jusqu’à deux heures du malin, pour qu’un vapeur quelconque pût stopper ; et l’un de mes compagnons, M. Sergueïeff, s’est trouvé, dans pareilles conditions, contraint avec toute sa famille, après avoir manqué plusieurs bateaux vers Novorossiisk, de regagner Saint-Pétersbourg, depuis Sotchi, en décrivant toute la périphérie du Caucase par l’immense détour de la voie ferrée de Poti à Bakou, à travers toute la Géorgie, et de Bakou à Cavcascaja par Vladicaucase. Assurément il y a bien trois routes de voitures praticables : l’une d’Armavir à Touapsé par Maikop, qui rejoint la seconde (chaussée du général Annenkoff) le long de la côte ; la troisième par les classiques

  1. L’entrée de Touapsé étant quelquefois difficile par certains vents. Il n’y a que sept phares : Anapa, Penaï, Doob, Kodoch, Sotchi, Pitsounda, Soukhoum.