Page:Martel - La Côte d’Azur russe.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
INTRODUCTION

Turkestan déjà en avaient administré la formelle preuve et étalé les louables résultats, avant les commotions récentes dues à des causes extérieures et qui ne sauraient être durables. Par opposition avec d’autres puissances accaparcuses, la Russie se garde sagement et humainement d’anéantir l’indigène ; elle le préserve et l’encadre soigneusement pour le conduire à une amélioration générale de ses facultés, à un rendement perfectionné dont il est le premier à bénéficier ! Sous ce rapport, l’œuvre de pénétration russe est universellement admirable.

C’est du moins l’impression durable que j’ai ressentie à mon intime contact avec les Caucasiens et Abkhases.

Actuellement il peut y avoir 120,000 à 150,000 Tcherkesses (surtout de la tribu des Khabardes) sur le versant nord, à l’ouest de Piatigorsk ; plus, dans le cercle de Soukhoum, sur la mer Noire, entre les fleuves Bzib et Rion, 40,000 à 50,000 Abkbases qui, tribu pacifique et de mœurs douces, n’auraient pas volontairement encouru les risques de l’émigration, s’ils ne s’étaient fait chasser temporairement lors de la guerre d’Orient en 1878. Entre temps, et depuis 1864, la Russie se préoccupa rationnellement d’utiliser le vaste territoire abandonné par les Adighé et de coloniser, pour en assurer la bonne exploitation, la région montagneuse susceptible d’alimenter, voire d’enrichir, une population trois ou quatre fois plus nombreuse au moins que le demi-million d’anciens occupants.

Tandis qu’un ingénieux système de concessions temporaires, sinon tout à fait gratuites, du moins assujetties à une faible revenance annuelle, — ne laissant le bénéficiaire plein propriétaire du sol au bout de cinq ans, qu’à la condition de l’avoir dûment et profitablement perfectionné par son travail[1], — substituait en maintes plages et vallées la vigne prospère et les cultures abondantes (maïs, tabac, céréales) aux vergers demi-sauvages des anciens aouls ou hameaux tcherkesses, — le moderne courant d’idées hygiéniques sur les stations climatiques, de rivages ou d’altitudes, suggérait la pensée de créations de ce genre sur la côte de l’ancienne Circassie : entre Novorossiisk et Soukhoum, au pied de la chaîne s’élevant graduellement vers l’est, 370 kilomètres de grèves s’allongeaient presque sans interruption, merveilleusement préparées pour les bains de mer ; de grandioses forêts, propices à l’ombrage des villes et au rafraîchissement des promeneurs d’été, montaient du sable même de ces grèves jusqu’aux premières cimes glacées du Caucase, à plus de 3 kilomètres en l’air ; et, sur les pentes inférieures de ces sommets, les vallées déjà montagneuses étaient défendues des vents, à la fois du nord et du large, pour l’installation idéale de sanatoriums futurs !

La douceur relative du climat autorisait la conception d’une Riviera caucasienne faisant pendant, vers l’autre bout du bassin méditerranéen, à celle de Provence et de Ligurie ; le littoral caucasien de la mer Noire est, à tous égards, particulièrement apte à un plus complet développement que la côte de Crimée, où Yalta, la célèbre Nice russe, se trouve déjà, avec ses annexes d’Aloupka, Livadia, Alouchta, trop à l’étroit contre les escarpements, de monégasque allure, des calcaires monts Jaïla. Le mérite de cette conception et l’initiative de cette mise en valeur reviennent à M. Abaza, qui, comme médecin militaire, prit part aux

  1. V. A.-S. Yermoloff, la Russie agricole, p. 276 et 282.