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les galères de dunkerque

saire de la marine, mais très souvent ce sont les capitaines et lieutenants des galères qui donnent ces fêtes à leurs amis, en les régalant de collations, et même de repas splendides sur leurs galères. Nous étions sur la nôtre, qui était la commandante, presque toujours chargés de cette fatigue extraordinaire, à cause que notre commandant, qui était très magnifique, y entretenait une belle symphonie de douze joueurs de divers instruments, tous galériens, distingués par des habits rouges et des bonnets de velours à la polaque, galonnés d’or, et leurs habits galonnés de jaune, qui était sa livrée. Le chef de cette symphonie, et qui l’avait formée, était un nommé Gondi, un des vingt-quatre symphonistes du roi qui, par débauche et libertinage, avait été chassé de la Cour et, s’étant enrôlé dans les troupes, en avait déserté. Ayant été repris, il fut condamné aux galères et mené sur la commandante de celles de Dunkerque. C’était un des plus habiles musiciens de France, et il jouait de toutes sortes d’instruments. Sa symphonie nous attirait donc souvent beaucoup de visites fatigantes et voici en quoi cette fatigue consistait. On avertissait le comite de faire tout préparer pour recevoir la visite. On commençait par faire d’extraordinaire une bourrasque. On faisait raser tête et barbe à la chiourme, changer de linge et revêtir leur casaque rouge et bonnet de la même couleur. Cela étant fait, qu’on se représente toute la chiourme, qui s’assied dans leurs bancs sur le pédagne, de sorte qu’il ne paraît d’un bout de la galère à l’autre que des têtes d’hommes en bonnet rouge. Dans cette attitude, on attend les seigneurs et dames qui, entrant un à un dans la galère, reçoivent le salut de la chiourme par un cri rauque et lugubre de hau. Ce cri se fait par tous les galériens ensemble sur un coup de sifflet, de sorte qu’on n’entend qu’une voix. Chaque seigneur et dame reçoit un hau pour salut, à moins que leur qualité ou leur caractère ne demande une distinction. Alors on crie deux fois hau, hau. Si c’est un général ou un duc et pair de France, on crie trois fois, hau, hau, hau, mais c’est le plus. Le roi même n’en aurait pas davantage. Aussi nomme-t-on ce dernier