Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
les galères de dunkerque

Concluons de là que le vice suit toujours ces misérables qui souffrent pour leurs crimes et qu’au lieu de s’amender par un châtiment si rigoureux, ils regimbent contre l’aiguillon, le bravent et même s’y endurcissent à un point qu’il semble qu’ils ont quitté tout sentiment d’hommes pour prendre toute la méchanceté du démon. On ne peut, en un mot, rien imaginer d’horrible en méchanceté que ces misérables ne possèdent au suprême degré. Les blasphèmes les plus exécrables, dont ils s’étudient à inventer de nouveaux formulaires, les crimes les plus affreux, qu’ils se vantent d’avoir commis et qu’ils désirent de pouvoir encore commettre, font hérisser les cheveux d’horreur. Cependant les aumôniers leur font faire de gré ou de force leur devoir de religion, tout au moins une fois l’an. Ils vont tous à confesse à Pâques et reçoivent l’hostie consacrée. Mais, bon Dieu, en quel état ces malheureux s’en approchent-ils ! Forcenés de rage, maudissant les aumôniers et comites, qui les y forcent, ils reçoivent enfin ce sacrement que les prêtres et les dévots de la religion romaine regardent comme la chose la plus auguste et la plus sainte, ils le reçoivent, dis-je, avec aussi peu d’apparence de contrition et aussi peu de dévotion que s’ils étaient dans un cabaret à boire bouteille. Les aumôniers n’y prennent pas autrement garde. Pourvu qu’ils les obligent à faire cet acte de catholicité, ils ne s’informent pas du reste.

Il faut pourtant avouer que tous les galériens de la chiourme, condamnés pour leurs crimes, ne sont pas également méchants et scélérats. J’en ai connu de très honnêtes gens et qui vivaient moralement bien. Il y en avait, qui étaient condamnés pour désertion, parmi lesquels se trouvaient de bons paysans et artisans, qu’on avait enrôlés de force ou par surprise, d’autres pour avoir fait la contrebande, d’autres qui, quoique condamnés pour meurtre, n’avaient tué qu’à leur corps défendant ; quelques-uns aussi — et j’en ai connu de tels — qui étaient innocents du crime pour lequel on les avait condamnés et qui ont vérifié leur innocence dans la suite. Tous ces gens-là, du moins