Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
la vie aux galères

ce que le marchand fit. Il ordonne de plus que toutes ces personnes se trouveraient, le lendemain matin, dans la maison du marchand, sans qu’il en manquât une seule, ce qui fut fait. Ce même matin, Laviné fut chez le marchand, portant dans ses mains un coq tout noir et un vieux bouquin tout graisseux qu’il disait être son grimoire. D’entrée, il demanda au marchand si tous ceux de sa maison étaient là. Celui-ci répondant que oui, Laviné les fit tous assembler dans une chambre. Il y en avait une autre à l’opposite. Il pria le marchand de faire bien fermer ces deux chambres pour qu’elles fussent entièrement obscures. Alors, Laviné récita tout haut en un langage barbare et incompréhensible quelques passages de son grimoire. Ensuite il avertit tout haut le marchand qu’il savait que le voleur de ses louis était dans la chambre, qu’il l’allait bientôt connaître par le chant de son coq, qui ne manquait jamais, mais il pria de ne pas s’étonner si le diable emportait le voleur, « car, dit-il, c’est son dû, et le diable ne fait rien pour rien ». Il disait cela d’un air à imposer aux plus incrédules. Après quoi, dans l’obscurité, sans que personne ne le vît, il remplit le dessus du dos de son coq de noir de fumée et se tenant à la porte à l’opposite de celle où étaient tous ceux de la maison, il les appela tous par leurs noms, l’un après l’autre, leur ordonnant qu’en passant auprès de lui chacun mît la main sur le coq qu’il tenait par les pattes, en les assurant par son grimoire infaillible que le coq ne sentirait pas plus tôt la main du voleur sur son dos qu’il chanterait, et gare, disait-il, la griffe du diable qui l’emportera comme une mouche. Or, il arriva qu’une servante, qui avait fait le vol, se sentant coupable et cependant voulant passer par l’épreuve, plutôt que d’avouer le fait, s’avisa d’une ruse pour empêcher que, si le coq chantait sous sa main, le diable ne l’emportât. Elle résolut à la faveur de l’obscurité de passer sans toucher le coq. Chacun le fît hardiment à la réserve de la servante coupable qui passa la main à côté sans toucher le coq, si bien que cette revue ne produisit aucun chant de coq. Mais Laviné, ayant fait ouvrir tous les volets de cette chambre,