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la vie aux galères

après, lorsque nous fûmes à bord de la frégate, la première décharge qu’elle nous tira tua ce cruel lieutenant sur le coursier. Il arriva même, comme si son cadavre ne méritait pas sépulture, que, quoiqu’on prît toutes les précautions possibles pour porter son corps à terre, et que nous ne fussions pas trois jours en mer après sa mort, ce cadavre s’empuantit si fort qu’il fut impossible de le souffrir plus longtemps et il fallut le jeter à la mer à la vue de Dunkerque.

Les officiers, non plus que le reste de l’équipage, ne se couchent jamais pour dormir lorsque la galère navigue, soit à la rame, soit à la voile, n’y ayant aucune place vide, ni exempte de manœuvre, pour que quelqu’un puisse reposer. Le fond de cale même est plein de vivres, voiles, cordages et autres apparaux de la galère et il n’y a que les mousses de chaque chambre qui y demeurent jour et nuit. Les soldats sont assis sur leur paquet de hardes à la bande ou galerie. Les matelots, mariniers et les bas-officiers s’asseyent comme ils peuvent sur la rambade[1] et autres lieux assez incommodes. Les officiers majors s’asseyent sur des chaises ou fauteuils dans la guérite ou chambre de poupe.

Mais lorsque la galère est à l’ancre ou dans un port, on tend la tente, qui est faite d’une forte toile de coton et fil, à bandes bleues et blanches. Cette tente règne d’un bout à l’autre de la galère. On la lève par de grosses barres de bois, qu’on appelle chèvres, mises de distance en distance, et qui sont de longueur différente pour faire faire le dos d’âne à cette tente, qui se trouve élevée à son bout du côté de la poupe d’environ huit pieds, au centre ou milieu de la galère, de vingt pieds, et à son bout à la proue, d’environ six pieds. Le bas aboutit à l’aposti[2] au bord de la galère, de chaque côté. Cette tente, bien tendue et attachée audit aposti, couvre toute la galère, et par sa forme et tenture est telle qu’aucune pluie, pour si forte qu’elle soit, ne

  1. Gaillard ou château de devant.
  2. Poutre d’un pied d’épaisseur qui forme le bord de la galère.