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la vie aux galères

car on est alors exempt de la rame et de toute autre fatigue, et l’on fait bonne chère de la cuisine du capitaine. Or, il arriva que le mousse d’office de M. de Langeron lui friponna cinquante ou soixante livres de café, que le maître d’hôtel trouva qui manquaient à l’office. Il le déclara au capitaine qui, sans autre forme de procès, ordonna sur-le-champ qu’on donnât cinquante coups de bastonnade à ce pauvre fripon de mousse et qu’on le mît au banc criminel, ce qui fut exécuté fort ponctuellement. Après quoi le capitaine ordonna au comite de lui chercher un mousse fidèle parmi les forçats de la galère. Le comite se récria sur ce mot fidèle disant qu’il lui était impossible de l’assurer de la fidélité d’aucun de ces malfaiteurs, mais qu’il savait un galérien déjà âgé et peu capable de la rame, de la fidélité duquel il pouvait lui répondre : « Mais, ajouta-t-il, je sais que vous ne le voudrez pas. — Pourquoi non, dit le capitaine, s’il est tel que tu le dis ? — C’est, dit le comite, qu’il est huguenot. » Le capitaine fronçant les sourcils, lui dit : « N’en as-tu pas d’autres à me proposer ? — Non, dit le comite, du moins dont je puisse vous répondre. — Eh bien, dit le capitaine, je l’éprouverai. Fais-le venir en ma présence. » Ce qui fut fait. C’était un nommé Bancilhon, vénérable vieillard, respectable par sa candeur et la probité qui était empreinte sur sa physionomie[1]. Le capitaine lui demanda s’il voulait bien le servir pour son mousse d’office. L’air et la prudence avec laquelle il lui répondit, charmèrent le capitaine qui le fit d’abord installer par son maître d’hôtel dans la chambre d’office. Le capitaine fut bientôt si content de son mousse qu’il n’aimait personne autant que lui, jusque-là qu’il lui confiait la bourse de sa dépense, et lorsque l’argent était fini, Bancilhon lui portait

  1. Il semble y avoir eu deux Bancilhon sur les galères : Jean-Baptiste, né en 1649, détenu au château d’If en 1708, puis embarqué sur La Grande et libéré en 1713 après vingt-sept ans de captivité, donc incarcéré en 1686. (Athanase Coquerel, Les Forçats pour la Foi, 266) ; Jean, né dans le Gévaudan, en 1655, âgé de 34 ans en 1689, employé sur La Palme, à Dunkerque et à Saint-Malo. (Athanase Coquerel, Les Forçats pour la Foi, 286.)