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la vie aux galères

l’Église catholique, la Sainte Vierge et tous les saints. Le comité lui demanda s’il l’avait entendu. Il dit que non mais que c’était sur le rapport de Poulet. « Bon témoignage ! » répondit le comite. Ce premier comite était passablement honnête homme et fort grave pour un homme de sa profession. Il s’approcha de mon banc et me demanda quelle raison j’avais eu de blasphémer ainsi contre la religion catholique. Je lui répondis que je ne l’avais jamais fait et que ma religion même me le défendait. Là-dessus il fit appeler Poulet, auquel il demanda ce que j’avais fait et dit. Ce maraud eut l’impudence de répéter la même chose qu’il avait dite au sous-comite qui était présent et que le premier comite avait fait rentrer avec lui. Celui-ci ne voulant pas s’en rapporter à la déposition de Poulet, interrogea les six galériens de mon banc, ensuite ceux du banc au-dessus, et celui au-dessous. Ces dix-huit ou vingt personnes lui déposèrent toutes la même chose, que je n’avais proféré aucune parole ni en bien ni en mal, lorsque Poulet me disait les plus grosses injures, et que tout ce que j’avais dit était que je ne donnais pas la bienvenue à ceux qui me la demandaient. Ces informations faites, le premier comite rossa d’importance le scélérat de Poulet et le fit mettre à la double chaîne au banc criminel, et il tança fortement son sous-comite d’avoir été si prompt à décider sur le rapport de ce coquin.

Je fus donc quitte pour la peur de la bastonnade qui est un supplice affreux.

Voici comment on pratique cette barbare exécution. On fait dépouiller tout nu, de la ceinture en haut, le malheureux qui doit la recevoir. On lui fait mettre le ventre sur le coursier de la galère[1], ses jambes pendantes dans son banc à l’opposite. On lui fait tenir les jambes par deux forçats et les deux bras par deux autres et le dos en haut tout découvert et sans chemise et le comite est derrière

  1. Le coursier d’une galère était le pont qui la traversait dans le sens longitudinal. Large d’environ quatre pieds, il courait entre les bancs de bâbord et de tribord qu’occupaient les rameurs.