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la vie aux galères

On nous mit donc dans la chambre à l’aumône, et on m’installa prévôt, au grand regret de celui qui l’était avant moi et que l’on plaça ailleurs. Cette chambre à l’aumône était fort grande et contenait six lits pour douze prisonniers civils, qui étaient toujours des gens de quelque considération et hors du commun, et outre cela, un ou deux jeunes drôles, coupeurs de bourse ou prisonniers pour des crimes légers, qui servaient à faire les lits, la cuisine et tenir la chambre nette. Ils couchaient à un coin de la chambre sur une paillasse. C’étaient en un mot nos valets de chambre. La prévôté, dont j’avais eu l’honneur d’être gratifié, était un emploi assez onéreux[1]. Celui qui est revêtu de ce titre dans la chambre de l’aumône est obligé de distribuer toutes les charités qui se font à cette prison. Elles sont ordinairement considérables et se portent toutes dans cette chambre. Il y a un tronc, qui pend avec une chaîne d’une des fenêtres pour les passants qui veulent y mettre leurs charités. Le prévôt de la chambre, qui a la clef de ce tronc, l’ouvre tous les soirs pour en retirer l’argent et le distribuer à tous les prisonniers, tant civils que criminels. Outre cela, tous les matins, les guichetiers vont avec des charrettes ou tombereaux, par toute la ville, recueillir les charités des boulangers, bouchers, brasseurs et poissonniers, chacun donnant de leurs denrées. Ils vont aussi au marché aux herbes, à celui des tourbes et autres, et toute cette collecte se porte à la chambre à l’aumône pour être partagée et distribuée dans toutes les chambres par le prévôt, à proportion que chaque chambre a de prisonniers, dont le geôlier lui donne une liste chaque jour et dont le total allait, lorsque j’y entrai, à cinq ou six cents.

Quoique je fusse devenu le distributeur général de ces aumônes, je ne pus cependant remédier à un abus qui m’empêchait de faire parvenir rien aux prisonniers destinés pour les galères. Le geôlier recevait leur part de l’argent du tronc pour l’employer, disait-il, à leur faire de la soupe ;

  1. Onéreux est employé ici au sens juridique acquis à condition d’acquitter certaines charges.