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la vie aux galères

dans la tour Saint-Pierre avec les autres. Mon camarade qui me croyait perdu, fut ravi de me sentir auprès de lui. Je dis sentir, car pour nous voir, nous n’avions aucune clarté pour cela.

Un matin, sur les neuf heures, le geôlier vint ouvrir notre cachot et, nous appelant mon camarade et moi, nous dit de le suivre. Nous crûmes d’abord qu’il nous allait mettre en chambre pour notre louis et demi, mais nous fûmes désabusés, car nous ayant sortis du cachot, il nous dit : « C’est M. de Lambertie, grand prévôt de Flandre, et qui est le maître ici, qui veut vous parler… J’espère, dit-il en s’adressant à moi, que vous ne lui direz rien de ce qui s’est passé dernièrement. — Non, lui dis-je, lorsque j’ai pardonné, j’oublie et ne cherche plus à me venger. » En disant cela, nous arrivâmes dans une chambre où nous trouvâmes M. de Lambertie, qui nous fit l’accueil le plus gracieux du monde. Il tenait une lettre de M. son frère, bon gentilhomme d’origine protestante, à trois lieues de Bergerac. Mon père nous avait procuré cette recommandation. M. de Lambertie nous dit donc qu’il était bien fâché de ne nous pouvoir procurer notre délivrance. « Pour tout autre crime, nous dit-il, j’ai assez de pouvoir et d’amis en Cour pour obtenir votre grâce : mais personne n’ose s’employer pour qui que ce soit de la religion réformée. Tout ce que je puis faire, c’est de vous faire soulager dans cette prison, et de vous y retenir autant que je voudrai, quoique la chaîne parte pour les galères. » Ensuite, il demanda au geôlier quelle chambre bonne et commode il avait de vide. Le geôlier lui en proposa deux ou trois qu’il rejeta et lui dit : « Je ne prétends pas seulement que ces messieurs aient toutes leurs commodités ; mais je veux aussi qu’ils aient de la récréation, et je prétends que tu les mettes dans la chambre à l’aumône. — Mais, Monsieur, répartit le geôlier, il n’y a que des prisonniers civils dans cette chambre-là, qui ont des libertés qu’on n’ose donner à des gens condamnés. — Eh bien ! répondit M. de Lambertie, je prétends que tu leur donnes ces libertés. C’est à toi et à tes guichetiers à