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était de notoriété publique que nous ne pouvions venir à Marienbourg sans passer par cet endroit. « Mais, nous dit-il, vous avez une autre preuve à faire, sans laquelle la première est nulle : il faut prouver qu’étant à Couvin, vous étiez pleinement informés que cette ville-là était hors des terres de France. » Franchement nous ne nous attendions pas à cette question. Cependant, nous répondîmes assez hardiment, et sans hésiter, que nous le savions parfaitement. « Comment pouviez-vous le savoir ? nous dit-il. Vous êtes de jeunes garçons, qui n’aviez jamais sorti du coin de vos foyers, et Couvin est à plus de deux cents lieues de chez vous. » Pour moi, je ne savais que répondre, car de dire que nous l’avions appris étant sur les frontières, cela n’était pas prouver, mais mon camarade s’avisa de dire que, pour lui, il le savait même avant de partir de Bergerac ; parce qu’ayant servi en qualité de barbier dans une compagnie du régiment de Picardie, qui s’était trouvée, lors de la paix de Ryswick, en garnison à Rocroy, il avait été témoin des limites qui furent réglées dans ce pays-là ; que de là son régiment avait été transféré à Strasbourg, où il avait été réformé ; et que, s’il avait voulu sortir de France, soit pour aller en Hollande, soit pour se retirer en Allemagne, il lui aurait été très facile de le faire, étant dans le service. « Si vous avez, lui dit le président, été réformé du service, vous devez en avoir un bon congé. — Aussi, l’ai-je, dit-il, Monseigneur, et en bonne forme. » Sur quoi, il sortit son portefeuille de sa poche et en tira effectivement ledit congé imprimé et en bonne et due forme et le présenta au président, qui le livra de main en main à l’Assemblée. Après quoi le greffier l’attacha à la requête, et on nous fit retirer, et reconduire au Beffroi.

À la vérité, Daniel Legras, mon camarade, avait été frater dans le régiment de Picardie et après la paix de Ryswick, il avait été réformé à Strasbourg, mais il n’avait jamais été à Rocroy, ni dans les environs. Il supposa ce fait pour notre défense, laissant au Parlement à faire rechercher s’il était vrai que ce régiment eût été à Rocroy à la paix de Ryswick ou non, ce que ces messieurs n’appro-