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une condamnation aux galères

tour, nous nourrissions le geôlier et sa famille. Le curé nous venait visiter presque tous les jours et nous donna d’abord un catéchisme de controverse pour prouver la vérité de la religion romaine. Nous lui opposâmes le catéchisme de M. Drelincourt[1] que nous avions. Ce curé n’était pas fort habile, et nous ayant trouvés ferrés à glace, il se désista bientôt de l’entreprise qu’il avait faite de nous convaincre, car nous ayant donné l’alternative de disputer par la tradition ou par l’Écriture sainte, et ayant choisi l’Écriture sainte, notre homme n’y trouva pas son compte, et après deux ou trois conférences, il quitta la partie. Il se borna, dès lors, à nous tenter par les avantages temporels. Il avait une nièce jeune et belle, qu’il amena un jour sous prétexte d’une visite charitable. Ensuite il me la promit en mariage avec une grosse dot, si je voulais me rendre à sa religion, se promettant que, s’il me gagnait, mon compagnon suivrait mon exemple. Mais j’avais tous les prêtres et leur race en si grande haine que je rejetai son offre avec énergie, ce qui l’outragea si fort qu’il s’en fut aussitôt déclarer au gouverneur et au juge qu’il n’y avait rien à espérer pour notre conversion, que nous étions des obstinés, qui ne voulaient écouter ni preuve ni raison, et que nous étions des réprouvés dominés par le démon. Sur sa déposition, il fut résolu de nous faire notre procès, ce qui s’exécuta bientôt.

Le juge du lieu et son greffier nous vinrent juridiquement interroger dans la prison, et deux jours après, on vint nous lire notre sentence, laquelle portait en substance que nous étant trouvés sur la frontière sans passeport de la Cour, et qu’étant de la religion prétendue réformée, nous étions atteints et convaincus d’avoir voulu sortir du royaume, contre les ordonnances du roi qui le défend ; et pour réparations, nous étions condamnés à

  1. Charles Drelincourt (1595-1669), ministre desservant le temple de Charenton, théologien et prédicant célèbre. Le plus répandu de ses ouvrages fut le Catéchisme ou Instruction familière, Saumur, 1662, sans cesse réimprimé jusqu’à la fin du xviiie siècle.