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la vie aux galères

n’était pas notre dessein. En suivant l’instruction du bon paysan, nous devions prendre un chemin sur la gauche, qui nous aurait fait éviter de passer sur aucune terre française. Mais en sortant de Couvin, ayant aperçu au loin une espèce d’officier à cheval qui venait vers nous, nous craignîmes que cet officier ne nous arrêtât, ce qui nous fit rebrousser et prendre le chemin fatal qui nous conduisit à Marienbourg. Cette ville est petite et n’a qu’une porte. Par conséquent elle n’est d’aucun passage. Nous le savions et nous formâmes la résolution de la laisser sur notre droite, et d’aller à Charleroi en tenant la gauche, suivant que nous nous étions orientés. Mais nous ne savions pas que le perfide garde-chasse nous suivait de loin pour nous faire mettre la main au collet. Enfin nous arrivons devant Marienbourg, et comme il était presque nuit, et que nous vîmes un cabaret, vis-à-vis la porte de la ville, nous conclûmes de nous y arrêter pour y passer la nuit. Nous y entrâmes. On nous mit dans une chambre et, nous y étant fait faire un bon feu pour nous sécher, nous n’y avions pas resté une demi-heure que nous vîmes entrer un homme que nous crûmes être l’hôte du logis, qui, nous ayant salués fort civilement, nous demanda d’où nous venions et où nous allions. Nous lui dîmes que nous venions de Paris et que nous allions à Philippeville[1]. Il nous dit qu’il fallait aller parler au gouverneur de Marienbourg. Nous crûmes l’endormir comme nous avions fait de notre hôte de Mézières. Mais nous nous trompions, car il nous répartit sur-le-champ et assez brusquement qu’il fallait l’y suivre dans le moment. Nous fîmes contre fortune bon cœur, et sans témoigner aucune crainte, nous nous préparâmes à le suivre. Je dis en patois à mon compagnon, pour que cet homme ne l’entendît pas, que, la nuit étant obscure, nous nous échapperions de notre conducteur dans la distance qu’il y avait du cabaret à la ville. Enfin, nous suivîmes

  1. Ville de la province de Namur, ainsi nommée en l’honneur de Philippe II. De la Paix des Pyrénées (1659) jusqu’aux traités de 1815, Philippeville fut ville française.