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les galères de marseille

de nos noms à la main, il nous appelait l’un après l’autre, nous demandait, d’un air d’autorité et de petit maître, qui nous faisait rire en nous-mêmes, d’où nous étions, le nom de nos parents, quel âge nous avions et autres inutilités semblables, le tout pour faire voir sa petite autorité, qu’il estimait très grande, à une foule de bourgeois de la ville, qui s’assemblaient devant sa maison pour voir ce que c’était. M. Bonijoli nous avait prévenus que ce sieur commissaire s’en faisait un peu accroire et il nous exhorta à nous soumettre par politique à ce qu’il exigerait de nous, quoique en vérité sa suffisance fût un peu outrée.

Le troisième jour de cet exercice, il fit venir chez lui le patron Jovas et lui mit un papier en main, lui disant de le lire et de lui dire s’il en était content. Ce papier, très authentique, étant honoré des armes du roi imprimées, et portant en grosses lettres « de par le roi », disait que « lui, commissaire ordonnateur pour Sa Majesté très chrétienne, ayant appris qu’il était entré dans le port de Villefranche une barque française, qui avait été chassée et poursuivie jusqu’à l’entrée dudit port par deux corsaires napolitains, il s’était rendu audit Villefranche et avait trouvé cette barque être de Marseille, chargée de trente-six hommes, délivrés des galères de France, allant en Italie, et qu’ayant visité et examiné tant la barque que les hommes, il avait trouvé qu’ils étaient dénués de tous vivres et qu’ils n’avaient pas le moyen de s’en pourvoir ; que d’ailleurs les deux corsaires napolitains attendaient en mer à la vue de Villefranche que cette barque sortît pour s’en saisir : que cette considération et celle de l’état où ces trente-six hommes se trouvaient sans vivres ni argent, avaient porté, lui commissaire, toujours attentif aux intérêts de la nation française, à ordonner, de la part du roi, au patron de cette barque, nommé Jovas, de débarquer ces trente-six hommes pour qu’ils prissent de là leur route pour Genève, lieu de leur destination, et que, malgré la protestation que ledit patron avait faite, en vertu d’une soumission qu’il avait signée à Marseille, s’engageant sous de grosses peines à ne pas les débarquer à Villefranche,