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la vie aux galères

avait rendu la ville et le comté de Nice au duc de Savoie, et qu’après en avoir fait l’évacuation, il laissa dans Nice un commissaire pour régler les affaires soit de dette ou autres qui étaient en discussion entre la Cour de France et celle de Turin. Ce commissaire français se nommait M. Carboneau. C’était un gentilhomme, qui, quoiqu’il ne fût pas Gascon de naissance, savait parfaitement s’en donner les airs. Chacun sait que les gens de cette province affectent extrêmement la générosité et qu’ils sont toujours prêts à offrir et à rendre leurs services à ceux qu’ils adoptent pour leurs amis de cœur. Il était en ces termes avec M. Bonijoli, car comme ce dernier était le seul Français qui fût à Nice, que d’ailleurs ses fils et ses filles, parfaitement bien élevés, étaient à peu près de l’âge du commissaire, ce dernier s’était si bien impatronisé chez M. Bonijoli et était si bon ami de lui et de sa famille qu’il était avec eux comme l’enfant gâté de la maison. M. Bonijoli pria le patron Jovas de lui confier la copie de sa soumission. Après quoi, il sortit et revint une heure après, accompagné du commissaire français.

Ce commissaire interrogea le patron Jovas avec un air d’autorité que sa charge lui donnait. Il lui demanda d’où il venait, d’où il était et de quoi sa barque était chargée. Le patron lui ayant répondu à tout, ce commissaire lui ordonna, de la part du roi de France, de débarquer ses trente-six hommes et de les conduire à Nice, lui défendant sous peine de désobéissance, de sortir du port de Villefranche avec sa barque que par ses ordres. Le patron s’y soumit, alla à Villefranche sur-le-champ et conduisit le reste de nos frères à Nice. M. Bonijoli, après leur avoir fait un accueil digne de son zèle, les logea dans différentes auberges, à ses frais, ordonnant de les bien traiter. Pour nous quatre, il nous retint dans sa maison, nous faisant la meilleure chère qu’il lui fut possible pendant trois jours que nous séjournâmes dans cette ville. Ces trois jours furent employés à satisfaire la vanité du commissaire. Il nous faisait venir, tous les matins, devant sa maison et, se tenant sur un balcon en robe de chambre, avec une liste