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les galères de marseille

d’un négociant. Étant entrés et ayant refermé la porte, il nous sauta au cou, nous embrassant en pleurant de joie, et appela sa femme et ses enfants : « Venez, leur dit-il, voir et embrasser nos chers frères, sortis de la grande tribulation des galères de France. » Sa femme, deux fils et deux filles nous embrassèrent à qui mieux mieux, louant Dieu de notre liberté.

Nous raisonnâmes sur ce qu’il y aurait à faire pour tâcher de continuer notre route sur Genève. Les inconvénients qui s’y trouvaient parurent d’abord impossibles à surmonter. Le patron Jovas produisit copie de la soumission qu’il avait signée à Marseille et qui lui défendait sous les peines que j’ai dites plus haut de nous débarquer à Villefranche. Il n’aurait pas été difficile de justifier ce qu’il avait fait par le prétexte d’un temps contraire, pour lequel les navigateurs sont toujours excusés. Mais de ne pas poursuivre de là sa route par mer jusqu’à Oneille, Livourne ou Gênes, suivant ses ordres, cela emportait une contravention manifeste. Il est vrai que nous pouvions nous moquer impunément du patron Jovas, étant hors de la domination de la France et à l’abri de toute contrainte, mais notre honneur et notre conscience s’y opposaient. Ce pauvre homme, pendant le conseil que nous tenions en sa présence, était toujours en posture de suppliant, appréhendant sans cesse que notre conclusion ne le perdît et que les missionnaires ne le poursuivissent à outrance, si nous prenions notre route de Nice à Genève. M. Bonijoli et nous, le rassurâmes, en protestant devant Dieu que nous l’affranchirions de tous risques par rapport à ses ordres, que nous préférerions toujours son bien-être à notre propre soulagement et que, si nous ne voyions aucune autre voie par sa décharge et sa sûreté, nous nous rembarquerions incontinent dans sa barque. Après cette assurance, notre patron se tranquillisa ; mais nous, nous restions à nous regarder, l’un et l’autre, sans pouvoir rien conclure, lorsque tout à coup M. Bonijoli s’écria qu’il pensait à un moyen qu’il croyait sûr et qu’il l’allait sur-le-champ tenter.

Il faut savoir qu’à la paix d’Utrecht, le roi de France