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les galères de marseille

desquels le vent changea et devint bon pour sortir du port, mais encore fort impétueux, et la mer en tourmente. Nous nous rendîmes cependant sur le port à notre barque. Nous y trouvâmes le patron Jovas, qui nous dit qu’à la vérité nous pouvions sortir du port, mais que nous trouverions un gros temps en mer. Nous lui dîmes que, s’il jugeait qu’il n’y eût pas grand péril en mer, nous le priions de nous y mettre, que nous aimions mieux être entre les mains de Dieu qu’en celles des hommes. « Je le savais bien, nous répondit-il, que vous m’importuneriez pour sortir d’ici et que vous êtes toujours plus prêts à me suivre que moi à vous conduire. Allons, embarquez-vous, et nous mettrons en mer à la garde de Dieu. » Nous embarquâmes quelques provisions avec nous et nous mîmes en mer. La mer était furieuse et, quoique le vent fût assez bon pour faire route, notre barque était si agitée par les vagues que nous croyions à tout moment de périr et nous fûmes tous si malades du mal de mer que nous vomissions jusqu’au sang, ce qui émut notre patron d’une si grande compassion pour nous qu’arrivant devant Toulon, il y relâcha à la grande rade à l’abri du gros temps pour nous y laisser un peu rétablir. Nous croyions dans cette grande rade être hors de portée de toute recherche, mais nous fûmes trompés. Car vers les cinq heures du soir, un sergent et deux soldats de la marine de Toulon, dans une chaloupe, abordèrent notre barque et sommèrent le patron d’aller, avec l’un d’eux, parler à l’intendance pour rendre raison de son voyage. Nous frémîmes de crainte, en faisant réflexion que sur nos passeports il était spécifié de sortir du royaume sans y plus rentrer, sous peine d’être remis en galère pour le reste de nos jours et en considérant que, si nous trouvions un intendant mal disposé à entendre nos raisons, il nous ferait provisionnellement arrêter, et que, s’il faisait savoir notre détention aux missionnaires de Marseille, qui n’est qu’à dix lieues de Toulon, ceux-ci nous accuseraient de désobéissance et contravention aux ordres du roi et que cela nous mettrait dans un grand labyrinthe. Le patron Jovas en était aussi fort intrigué. Il prit cependant nos