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la vie aux galères

pour sortir du port et la mer fort orageuse, tellement qu’il était impossible de mettre à la voile. Le patron Jovas, voyant donc que nous allions entrer résolument dans sa barque pour y être enfermés suivant la volonté des missionnaires, nous dit : « Croyez-vous, messieurs, que je vous sois aussi cruel que les barbets et que je veuille vous enfermer comme des prisonniers dans ma barque pendant que vous êtes libres ? Nous ne pouvons sortir du port, continua-t-il que le vent ne change, et Dieu sait quand il changera. Croyez-moi, allez-vous en tous en ville loger et coucher dans de bons lits, au lieu que dans ma barque il n’y a que du sable. Je n’ai garde de me figurer que vous m’échapperez. Je sais au contraire que vous me rechercherez et m’importunerez pour vous tirer d’ici hors de la main de vos ennemis. Je réponds de vous et, pourvu que je vous porte où mes ordres sont, je n’ai rien à craindre. Allez, partout dans la ville. Il m’est inutile de savoir où vous logerez. Observez seulement le temps et, lorsque vous verrez que le vent aura changé, rendez-vous à ma barque pour partir. » Nous suivîmes donc le conseil que la bonté de notre patron nous donnait et nous fûmes tous les 36 loger dans la ville dans différentes auberges. Cependant nous n’étions pas sans inquiétude de voir que nous ne pouvions pas sortir par le vent contraire, craignant toujours quelque anicroche de la part des missionnaires. C’est pourquoi, dès le lendemain au matin, nous fûmes chez le commissaire de la marine pour lui faire notre soumission et le prier qu’on n’imputât notre retardement à partir qu’au temps qui nous empêchait d’obéir ponctuellement aux ordres du roi. Le commissaire nous reçut fort gracieusement et témoigna nous savoir gré de notre démarche, ajoutant d’un air de bonté : « Le roi ne vous a pas délivrés pour vous faire périr en mer ; restez dans la ville aussi longtemps que le temps vous empêchera de partir : mais je vous conseille de ne pas sortir des portes, et, aussitôt que le temps le permettra, mettez-vous en mer. Dieu veuille vous donner un bon et heureux voyage. »

Le temps continua contraire pendant trois jours, au bout