Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
la vie aux galères

jambes nues pendant hors du chariot, où dans peu elles se gelaient et leur faisaient souffrir des tourments inexprimables, et, qui pis est, ceux qui se plaignaient ou lamentaient sur ces chariots des maux qu’ils souffraient, on les achevait de tuer à grands coups de bâton. On demandera ici pourquoi le capitaine de chaîne n’épargnait pas leur vie, puisqu’il recevait vingt écus par tête pour ceux qu’il livrait vivants à Marseille, et rien pour ceux qui mouraient en chemin. La raison en est claire. C’est que le capitaine devant les faire voiturer à ses frais, et les voitures étant chères, il ne trouvait pas à beaucoup près son compte à les faire charrier, car à faire charrier, par exemple, un homme jusqu’à Marseille, il lui en aurait coûté plus de quarante écus sans la nourriture, ce qui fait voir qu’il lui était plus profitable de les tuer que de les faire voiturer. Il en était quitte, d’ailleurs, en laissant, au curé du premier village qui se présenterait, le soin d’enterrer les corps morts et en prenant une attestation dudit curé. Enfin, nous traversâmes l’Île-de-France, la Bourgogne et le Mâconnais jusqu’à Lyon, faisant tous les jours trois à quatre lieues, ce qui est beaucoup, chargés de chaînes comme nous étions, couchant tous les soirs dans les écuries sur le fumier, mal nourris, et, quand le dégel vint, toujours dans la boue jusqu’à mi-jambes, et souvent la pluie sur le corps, qui ne séchait qu’avec le temps sur nos corps même, sans compter les poux et la gale, inséparables d’une misère pareille. Nous n’ôtions cette vermine de nos corps qu’à pleines mains, mais pour la gale, dont tous ces misérables de la chaîne étaient ulcérés, nous 22 en fûmes exempts, et pas un de nous ne la gagna, quoique pendant la route nous eussions été séparés les uns des autres et que plusieurs de nous fussent accouplés avec quelques-uns de ces malheureux. Pour moi, je l’étais avec un qui était condamné pour désertion. C’était un bon enfant. On l’accoupla avec moi à Dijon en Bourgogne, parce que le réformé, qui était avec moi, était incommodé d’un pied et qu’il fut mis sur un chariot. Ce pauvre déserteur était donc si infecté de la gale que tous les matins