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les galères de dunkerque

nourriture pour notre argent. Enfin, quelqu’un vint au guichet et nous entendîmes que l’on disait : « Ces gens-là parlent bon français. » Ce discours nous fit juger qu’il y avait quelque malentendu et quelque mystère dans la conduite que l’on tenait à notre égard. Nous nous mîmes encore à crier et à prier qu’on nous aidât pour notre argent que nous étions prêts à donner d’avance. Là-dessus, le geôlier ouvrit la porte et entra accompagné de ses six guichetiers et, après nous avoir examinés les uns après les autres, il nous demanda si nous étions Français de nation. Nous lui dîmes que oui. « Mais pourquoi donc n’êtes-vous pas chrétiens, nous dit-il, et adorez-vous le diable, qui vous rend plus méchants que lui ? » Nous lui répondîmes qu’il voulait apparemment badiner et qu’il nous ferait plus de plaisir de nous donner à boire et à manger. Et en même temps je lui remis un louis d’or, le priant instamment de nous fournir pour cet argent ce qui nous était nécessaire, et ajoutant que, s’il n’y en avait pas assez, je lui en donnerais d’autre. « Vraiment, dit le geôlier, vous ne me paraissez pas tels qu’on vous a dépeints. Dites-moi donc franchement ce que vous êtes, car depuis huit jours que l’on vous attend ici, on ne fait que parler de vous comme de gens du pays du Nord, tous sorciers et si méchants qu’on n’a jamais pu vous vaincre sur les galères de Dunkerque et qu’on envoie à Marseille pour mettre à la raison, ce qui a été la cause que je vous ai reçus avec tant de répugnance dans cette prison. »

Sur ce propos, notre capitaine d’armes arriva dans le cachot pour nous faire donner notre étape. Le geôlier le tira à part et lui demanda si nous étions aussi dociles que nous le paraissions. « Oui certainement, dit le capitaine, j’entreprendrais de les conduire, moi seul, par toute la France et tout leur crime est d’être huguenots. — N’y a-t-il que cela ? dit le geôlier. Les plus honnêtes gens de Rouen sont de cette religion. Je ne l’aime pas, ajouta-t-il, mais j’aime les personnes qui en sont, car ce sont de braves gens. » Et, s’adressant à nous, il nous dit : « Vous séjournerez ici demain, j’aurai soin d’avertir divers de vos gens,