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les galères de dunkerque

permission de laisser croître mes cheveux ; j’achetai un bonnet d’écarlate et, ainsi décrassé et assez propre, je me présentai au commandant, qui fut charmé de me voir dans cet équipage que j’avais fait à mes dépens[1]. Il ordonna à son maître d’hôtel qu’on me portât à chaque repas un plat de sa table et une bouteille de vin par jour, ce qu’on fit pendant la campagne de 1709, et je puis dire qu’il ne me manquait rien que la liberté.

J’étais sans chaîne nuit et jour, ayant seulement un anneau au pied. J’étais bien couché et en repos, pendant que tout le monde était au travail de la navigation. J’étais bien nourri, honoré et respecté des officiers et de l’équipage, et par-dessus tout aimé et chéri du commandant et du major des six galères, son neveu, de qui j’étais secrétaire. J’avais à la vérité, dans certains temps, beaucoup à écrire, et j’y étais si exact que j’y passais les nuits entières pour rendre mes écritures plus tôt même que le commandant ne s’y attendait.

Je ne dirai rien ici des années 1710, 1711 et de la plus grande partie de 1712 que les galères restèrent désarmées dans le port de Dunkerque, la France étant si dénuée de tout dans sa marine, qu’on ne pouvait armer une chaloupe, si bien que nous n’eûmes aucun événement extraordinaire et digne de curiosité, jusqu’au mois d’octobre 1712 que nos grandes tribulations et celles de notre société souffrante arrivèrent. Il faut savoir que nos frères des Églises françaises des Provinces-Unies envoyaient de temps en temps

    me voyais avec mes beaux habits de forçat, tu serais ravie. J’ai une belle chemisette rouge, faite tout de même que les sarreaux des charretiers des Ardennes. Elle se met comme une chemise, car elle n’est ouverte qu’à demi par devant. J’ai de plus un beau bonnet rouge, deux hauts-de-chausses et deux chemises de toile grosse comme le doigt et des bas de drap. Mes habits de liberté ne sont point perdus, et, s’il plaisait au Roi de me faire grâce, je les reprendrais. » (Histoire des souffrances du bienheureux martyr Louis de Marolles, édition Jules Bonnet, 81.)

  1. Tous les deux ans les galériens recevaient un caban de drap d’arbase, une casaque de cordillat rouge doublée de toile d’étoupe blanche ; chaque année deux chemises, deux caleçons, une paire de bas de cordillat gris, un bonnet de laine rouge. (Auguste Laforêt, Étude sur la marine des galères, 60.)