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la vie aux galères
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blessés, dans ce fond de cale, pêle-mêle, matelots, soldats, les officiers et forçats, sans distinction, couchés sur la dure et sans être secourus en rien ; car à cause du grand nombre de blessés que nous étions, les chirurgiens ne pouvaient y subvenir pour nous panser. Quant à moi, je fus trois jours dans cet affreux fond de cale, sans être pansé qu’avec un peu d’eau-de-vie camphrée, que l’on mit sur une compresse pour arrêter le sang, sans aucun bandage ni médicament.

Les blessés mouraient comme des mouches dans ce fond de cale, où il faisait une chaleur à étouffer et une puanteur horrible, ce qui causait une si grande corruption dans nos plaies que la gangrène s’y mit partout. Dans cet état déplorable, nous arrivâmes, trois jours après le combat, à la rade de Dunkerque. On y débarqua d’abord les blessés pour les porter à l’hôpital de la marine. On me sortit de ce fond de cale, de même que plusieurs autres, avec le palan à poulie, comme des bêtes. On nous porta à l’hôpital plus morts que vifs. On mit tous les forçats, séparément des personnes libres, dans deux grandes chambres à quarante lits chacune, bien enchaînés au pied du lit. À une heure de l’après-midi, le chirurgien-major de l’hôpital vint pour visiter et panser nos blessures, accompagné de tous les chirurgiens des navires et des galères qui se trouvaient dans le port. Je venais d’être fortement recommandé au chirurgien-major. Depuis l’année 1702 que je fus mené sur les galères à Dunkerque, je fus recommandé par mes parents de Bordeaux, de Bergerac et d’Amsterdam, à un riche banquier, M. Piécourt, qui avait maison à Dunkerque. Il arriva donc qu’ayant entendu que notre galère avait perdu beaucoup de monde, à la prise que nous avions faite de cette frégate anglaise, il courut au port pour s’informer de moi. Il apprit que j’étais fort blessé et qu’on m’avait déjà porté à l’hôpital. Il fut de ce pas chez le chirurgien-major de cet hôpital, qui était son ami, et me recommanda à ses soins aussi fortement que si j’avais été son propre fils. Aussi puis-je dire qu’après Dieu je dois la vie à ce chirurgien-major, qui prit tâche, contre sa coutume, de me panser lui-même. À la première visite qu’il fit dans notre chambre,