Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
les galères de dunkerque

toujours entre la vie et la mort. Les vagues comme des montagnes nous couvraient continuellement. On eut grand soin de tenir les écoutilles bien fermées, sans quoi le fond de cale aurait été dans un moment plein d’eau, et nous aurions coulé à fond. Tout le monde était en prière, tant sur nos galères que dans la ville de Dunkerque, dont les habitants nous voyaient dans ce grand danger. On y exposa le Saint-Sacrement dans toutes les églises et on y ordonna des prières publiques. C’est tout ce qu’ils pouvaient faire pour nous aider, car aucun bâtiment, ni grand ni petit, ne pouvait sortir du port pour nous secourir. Il fallut donc patienter pendant ces six heures que, la marée étant haute, il était question de lever nos ancres ou de laisser filer les câbles pour entrer dans le port. Mais autre difficulté. Il faut savoir que le port de Dunkerque est construit par deux puissantes digues qu’on nomme jetées, qui s’avancent presque une demi-lieue dans la mer. La tête de ces jetées forme l’embouchure ou entrée du port. Cette entrée est difficile pour les bâtiments qui sont obligés d’y entrer par le sud, à cause d’un banc de sable qui se trouve à l’entrée de cette embouchure, ce qui fait que pour y entrer il faut raser la côte du sud et observer, en gouvernant juste, de tourner court entre ces deux têtes de jetées, dont l’entrée est étroite et par conséquent très difficile dans un gros temps, surtout pour des galères qui sont d’une extrême longueur et qu’on ne peut faire tourner facilement. Tous nos pilotes y perdaient leur latin. On fut éveiller Pieter Bart qui dormait tranquillement dans un banc, tout mouillé qu’il était des vagues qui nous passaient sur le corps. Il avait donné ordre qu’on l’éveillât lorsque la marée serait haute, ce qu’on fit. Notre commandant lui demanda s’il ne savait pas quelque moyen d’entrer dans le port sans périr. « Oui, dit-il, je vous entrerai de la manière que j’entre avec ma barque, quand je reviens de la pêche, avec toutes mes voiles au vent. — Bon Dieu ! s’écria le commandant, entrer à la voile ! Nous y périrons infailliblement. — Mais, lui dit Pieter, tu ne peux faire ramer à cause de la grosse mer. Laisse-moi faire, tout ira bien. »