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la vie aux galères

fameux Jean Bart, amiral du Nord, mais ce Pieter Bart n’était qu’un pauvre pêcheur, s’étant toujours adonné à la crapule et à l’ivrognerie du genièvre, qu’il buvait comme de l’eau, mais d’ailleurs habile connaisseur des côtes, et grand observateur du temps, car je n’ai jamais vu qu’il se soit trompé à pronostiquer quel vent et quel temps nous aurions deux ou trois jours à l’avance. Ce pilote, cependant, tel que je le dépeins, ne trouvait pas beaucoup de croyance chez les autres pilotes, ni auprès du commandant, parce qu’il était presque toujours ivre. On l’appela, cependant, à ce conseil pour dire son avis. Il parlait un très mauvais français et disait toujours toi à tout le monde. Il dit donc son sentiment tout opposé à ceux des autres pilotes. « Tu veux aller en mer ? dit-il à notre capitaine. Je te promets demain matin un bon bouillon. » On se moqua de son avis, et quelque instance qu’il fit pour qu’on le mît à terre, le commandant n’y voulut jamais consentir. Enfin, nous mîmes en mer, notre galère et celle de M. de Fontête, avec un temps si beau et si calme, qu’on aurait tenu une bougie allumée au bout du mât. Nous fûmes aux côtes de Douvres, faire ronfler notre artillerie dans le sable des dunes une bonne partie de la nuit. Après quoi nous revînmes sur les côtes de France à la rade d’Ambleteuse, village situé entre Calais et Boulogne. Il y avait dans cet endroit une anse entre deux montagnes qui mettait à l’abri du vent d’est et nord-ouest les navires qui y ancraient. Je ne sais par quelle fantaisie notre commandant voulut aller mouiller l’ancre dans cette anse. M. de Fontête fut plus sage ; il resta dans la grande rade. D’abord que Pieter Bart vit la manœuvre que nous faisions pour aller mouiller dans cette anse, il cria comme un perdu de s’en bien garder. On lui en demanda la raison. Il assura qu’au soleil levé nous aurions la plus grande tempête du vent de sud-ouest que de vie d’homme on eût jamais vue et que l’entrée de cette anse étant exposée à ce vent, nous ne pourrions en sortir ni éviter de tomber sur les roches sous eau, dont cette anse est remplie et où la galère se briserait et qu’il ne s’en sauverait pas un chat. On se moqua de lui et de son avis