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pu me croire timide auprès des femmes. Non, quand je me rappelle ce qui se passait en moi, ce n’était pas de la timidité. À mes yeux, la femme était un être doué de tant de perfections, de tant de vertus attrayantes, je la trouvais si supérieure à l’homme, à toute la création enfin, qu’elle était pour moi un objet de dévotion mystérieuse, de culte idolâtre, d’adoration pleine de respect, et qu’oser lui adresser la parole en plongeant mes yeux dans les siens me paraissait d’une impertinence inouïe. Dans mon imagination ardente et passionnée, la femme, c’était une rose entr’ouverte au matin d’un beau jour et à laquelle il fallait se garder de toucher, dans la crainte d’en ternir l’éclat ou d’en altérer le si doux et si émouvant parfum.

Élevés d’ailleurs par une tendre mère qui nous inspirait le respect le plus profond pour les femmes, j’étais, personnellement, comme un être à part dans la nature ; je n’appartenais encore, à dire vrai, à aucun sexe ; mes pensées étaient naïves et ma vie était chaste. Et pourtant, chaque fois que je me rencontrais avec Virginie, l’air de bonheur avec lequel nous nous contemplions à la dérobée, nos yeux qui avaient l’un pour l’autre un éloquent et muet langage ; son délirant sourire, lorsque dans la conversation une allusion soudaine rapprochait nos cœurs ; tout nous semblait un plaisir délicieux et qui nous suffisait, grâce à la délicatesse des sentiments dont nous étions tous deux animés. Cet être angélique et pur ne rêvait pas plus que moi un autre dénouement à notre amour.