Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repas et du repos, il parlait peu ou point du tout, si ce n’était pour gronder à droite et à gauche et pour trouver à redire à tout ; il suivait constamment son idée fixe : « Le succès dans les affaires, a dit Newton, ne s’obtient qu’en y pensant toujours. »

En 1814, après dix années d’une carrière pénible et laborieuse de banquier, mon père, grâce à son incessante activité, avait réussi à faire une belle fortune, si belle même qu’il a pu perdre en 1816, sans être ruiné, la somme énorme de huit cent mille francs sur une entreprise tentée dans de trop vastes proportions.

Vers la fin du blocus, l’administration civile et l’administration militaire étaient complètement à bout de ressources pécuniaires ; les caisses publiques étaient vides et il n’y avait plus possibilité de les remplir. Sans solde, la garnison murmurait et l’on craignait, dans cet ébranlement de la discipline, de n’avoir plus de défenseurs pour nos remparts. Effrayés de cet état de choses, le général Marulaz et le préfet Jean de Bry[1]vinrent un matin trouver mon père qu’ils avaient en grande affection, lui racontèrent leur embarras et lui déclarèrent sous le sceau du secret qu’ayant besoin

  1. De Bry (Jean-Antoine-Joseph, baron), 1360-1834. Député à la Législative, puis membre de la Convention, il vota la mort du roi et devint président du Conseil des Cinq-Cents. Envoyé comme ministre plénipotentiaire au Congrès de Rastadt, il faillit y être massacré comme ses deux collègues Bonnier et Roberjot. Napoléon le nomma préfet du Doubs le 9 floréal an IX, puis préfet du Haut-Rhin en 1815. Exilé par la Restauration, il ne rentra en France qu’en 1830. — Ferme, impartial, bienveillant, le baron de Bry a laissé un souvenir ineffaçable à Besançon.