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d’un ton aigu qu’il tendit de son mieux. Cette opération terminée, il arma la pointe de son soulier d’un court éperon de plume qu’il avait assujetti dans sa semelle, puis lorsqu’en classe, le lendemain matin, on écoutait une leçon pleine d’intérêt, Conscience attaqua tout à coup la guitare mystérieuse avec son éperon. Arrêté net dans son éloquence, le professeur descendit de sa chaire, fit le tour du banc, ôta et remit vingt fois ses lunettes, mais ne vit rien. Pendant cette inspection de détail, la musique lui donnait de temps à autre une aubade d’honneur et le malheureux y perdit son grec et son latin. Cette plaisanterie dura plusieurs jours, au bout desquels le musicien anonyme fit disparaître son instrument, mais pour prolonger le trouble, il avait allongé démesurément son éperon, et dès qu’il avançait son pied en l’agitant d’une certaine façon, la vue de ce cure-dent pédestre, en nous rappelant la guitare, provoquait chez nous tous un accès de gaieté presque nerveux et qui paraissait d’autant plus extraordinaire à M. Fontanier qu’il ne pouvait ni en voir ni en deviner la cause.

D’un tempérament sec, nerveux, impressionnable, Conscience fit au temps de sa jeunesse plusieurs graves maladies que l’on crut mortelles ; il avait affaibli sa santé robuste par l’abus excessif des liqueurs fortes[1],

  1. M. Marquiset père, son ancien camarade de collège, lui demandant une fois pourquoi il ne lui faisait que de rares visites, Francis lui répondit, après avoir compté sur ses doigts : « C’est que tu demeures à dix-sept petits verres ! » (Jean Gigoux, Causeries sur les artistes de mon temps, page 220.)