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de la table au salon, où elle trône invariablement vêtue d’une robe de soie noire, sur un canapé de drap cramoisi qu’elle occupe tout entier et qu’elle inonde de ses chairs superflues. Mme  S. a l’œil exercé et hardi, la voix rauque, le geste impérieux et l’air effronté de ces superbes matrones qui siègent derrière certains comptoirs et dont aucun regard, aucun mot, aucun geste ne saurait faire baisser la paupière aguerrie. Méchante et envieuse, on la redoute, parce qu’elle sait toujours, sauf à les inventer, des histoires scandaleuses, qui prêtent à rire et qu’elle raconte avec une verve et une âcreté qui lui attirent des pratiques. Son regard investigateur s’en va sans cesse quêtant dans l’espace et lui rapporte des observations toujours critiques, toujours amères, qu’elle s’empresse de communiquer à ses voisins, sans prendre la peine de couvrir d’un voile les réflexions plus ou moins cyniques qui en sont, en quelque sorte, le complément obligatoire. Sous ce rapport, elle est sans pitié, et très certainement la mère en défendra l’audition à sa fille. C’est elle qui nous disait, en plein salon et devant des jeunes filles, que dans chaque carré où se baignent de quarante à quarante-cinq personnes, chacune d’elles faisait p…, terme moyen, trois fois par séance, et qu’il s’introduisait ainsi dans l’eau de cinquante à cinquante-cinq litres de liquide de contrebande.

On dirait que Mme  S. regrette encore sa jeunesse dès longtemps passée, sa jambe bien faite, et surtout le temps qu’elle n’a pas perdu. Le chagrin d’avoir vieilli,