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rares ; ils lui en firent des reproches obligeants et Léopold reprit aussitôt ses anciennes habitudes, mais quelque part qu’il fut, une pensée pénible ne le quittait jamais.

Un soir qu’ils faisaient ensemble une promenade sur l’eau, ils rencontrèrent une gondole d’où s’échappait une musique douce et mystérieuse ; sur le devant étaient deux dames et un homme âgé ; leur mise élégante, comme l’éclat de leurs armoiries, annonçait de nobles et riches seigneurs vénitiens ; l’une des deux dames était d’une beauté ravissante. Léopold, le corps demi-penché hors de la gondole, la regardait, non plus comme l’observateur de Genève, mais bien comme un être transporté d’amour, qui semble attendre la vie ou la mort d’un regard, d’un signe, d’un mouvement. La barque légère s’arrêta quelques instants, puis elle glissa sur l’eau et disparut. Léopold était resté sous le charme ; il n’avait pas changé d’attitude. Cependant les gondoliers touchèrent au rivage ; on se sépara.

Le lendemain, Léopold était triste, et ses traits altérés prouvaient qu’il avait été sous le poids des émotions les plus vives.

Mais l’amitié, comme l’amour, pénètre dans les replis du cœur, et en découvre aisément les secrets ; M. et Mme de Valdahon avaient deviné sans peine que leur ami n’avait pas vu pour la première fois cette charmante Vénitienne ; ils le lui dirent, Léopold en convint ; il leur raconta même avec l’abandon le plus touchant comment sa passion avait pris naissance et