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comme si ces membres désunis n’avaient pas de nerfs pour en contenir les mouvements désordonnés. Son corps souple, flexible, ressemble à celui d’une anguille qui se mettrait en frais de coquetterie. M. le ministre de l’intérieur se tord, se ploie et se reploie avec une prodigalité comique et jette invariablement, à chacun des arrivants, des saluts multipliés qui ne s’arrêtent que lorsque son nez gigantesque va toucher le parquet.[1] Il m’a très gracieusement accueilli et m’a fait placer à table entre mon compatriote le général Bernard et lui. Après le dîner, comme nous prenions le café au salon, on annonça le baron de Roujoux. Ce préfet, qui comptait de très honorables services sous l’Empire, venait d’être destitué pour n’avoir pas, disait-on, prêté un concours assez actif au gouvernement dans les recherches alors ordonnées pour l’arrestation de Madame la duchesse de Berry.

J’étais debout près de la porte d’entrée, causant avec le général Bernard, lorsque parut le baron de Roujoux, petit homme rond comme un mounin de marchand de tabac et paraissant embarrassé d’un ventre que ses efforts visibles ne parvenaient pas à dissimuler. Le comte d’Argout vola près de lui plutôt qu’il n’y courut et lui dit en lui serrant la main avec une sorte de frénésie : « Bonjour, mon cher, bonjour. Comment vous portez-vous ? — Monsieur le ministre, répondit le pré-

  1. Voici comment le Rivarol de 1842 décrit M. d’Argout : « Un nez majuscule, naguère ministre, actuellement directeur de la Banque de France. »