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une lourde chaussure guêtrée, à peu près pareille aux souliers classiques du président Dupin, M. Courvoisier se rendait seul, à pied, à l’hôtel de Piémont, rue Richelieu, où logeait son compatriote, à côté de notre vénérable ami M. Clément. Une fois réveillé, ce qui n’était pas toujours facile, M. Accarier se levait rapidement et on partait. Dieu seul sait tout ce qui se disait dans ces promenades solitaires où chacun parlait à cœur ouvert, où chacun se laissait aller à son inspiration.

Un matin que M. Courvoisier rentrait à l’hôtel de la Chancellerie plus tard encore que de coutume, il aperçut, en fermant la porte, une aigrette de flammes qui s’échappaient du centre de la seconde cour dont le bâtiment principal donne sur la rue Neuve-du-Luxembourg. Effrayé de cette lueur qui semblait annoncer un violent incendie, il traverse à la hâte la longue avenue plantée d’arbres par laquelle on arrive à la seconde cour, et il voit avec surprise un petit marmiton, le bonnet blanc sur l’oreille, attiser de son mieux un brasier considérable formé de troncs d’arbres empilés et qu’il alimentait incessamment avec d’énormes morceaux de bois qu’il allait chercher dans le bûcher le plus voisin. Après l’avoir un instant observé, le garde des sceaux s’approcha de lui et lui demanda ce qu’il faisait en cet endroit à pareille heure de la nuit : « Pardieu, Monsieur, répondit le petit bonhomme d’un air étonné et mutin, vous le voyez bien, je fais des cendres pour le cuisinier de Monseigneur. » — On sait que dans