Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la garde, beau et aimable s’il en fut. Je m’aperçus bientôt de cette folle passion, bien qu’il s’obstinât à me la nier ; mais il fut obligé, dans une certaine circonstance, de m’avouer que lady Fitz… occupait nuit et jour sa tête et son cœur, et qu’il ne pouvait plus vivre, s’il ne réussissait pas à lui faire partager son amour.

Je lui fis sentir combien il aurait tort de poursuivre une conquête impossible, puisque la séduisante étrangère était déjà le prix des soins exclusifs d’un homme des mieux faits pour plaire, et dont l’attachement et la tendresse pour elle ne se démentaient pas ; je lui fis observer en outre que cet amant heureux était son camarade, son ami, et que s’il apprenait quelque chose des tentatives de lui, Ernest, il en pourrait résulter de graves incidents qui donneraient certainement de l’ennui, peut-être même du chagrin à son père et à sa famille. Ces réflexions parurent le toucher, car il me quitta sans essayer d’y répondre, et me serrant convulsivement la main.

Le soir de cette même journée, vers les dix heures, je faisais seul un peu de musique dans ma chambre, lorsque je vois entrer Ernest, pâle, éperdu, l’œil hagard et le visage en feu ; son uniforme était à demi ouvert ; une partie des boutons en avait été violemment arrachée, et sa chemise était en lambeaux ; il avait, en un mot, l’air de quelqu’un qui vient de commettre un crime. En voyant son désordre, je lui demandai dans une brusque anxiété ce que signifiait le déplorable état dans lequel il se trouvait.