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ces dames d’égale à égale. À qui connaît le cœur humain, cette conduite ne paraîtra pas extraordinaire.

Quand j’allais déjeuner à la présidence, ce qui m’arrivait chaque fois que je me présentais le matin chez le premier ministre, qui habitait l’hôtel de la Chancellerie actuelle, placé Vendôme, le duc de Richelieu, dès que ses invités étaient sortis, me donnait le bras et nous allions nous promener en long et en large au pied de la colonne Vendôme, depuis la rue de la Paix jusqu’à la place de la Madeleine. Nous ne quittions jamais ce parcours, parce que s’il arrivait au ministère une dépêche pressante, l’huissier, qui avait la consigne, venait l’en prévenir là.

Pendant cette promenade, le ministre fumait dans une longue et belle pipe d’écume, cadeau de l’empereur Alexandre, qui attirait souvent la curiosité des passants. Il n’était pas de mode alors de fumer comme on le fait aujourd’hui, et cette habitude de la pipe, au temps dont je parle, était une rareté. M. le duc de Richelieu l’avait prise en Russie, et profitait pour fumer. de tous ses moments de loisir, mais toujours hors de chez lui et presque toujours aussi en marchant, car il lui fallait beaucoup d’exercice. Plusieurs de mes amis des gardes du corps m’ont assuré que chaque fois que le président du conseil venait passer la soirée aux Tuileries, soit chez le Roi, soit chez les princes, Mme  la duchesse d’Angoulême, que l’odeur du tabac indisposait, donnait l’ordre d’ouvrir les fenêtres dès que le duc de Richelieu, dont les habits répandaient le même