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sur la terre qui puisse remplacer dans mon cœur une créature si parfaite : il n’était fait que pour aimer, il n’y a plus rien qu’il puisse aimer, et je ne puis plus prétendre ni plaisir ni bonheur. Je ne veux plus de biens ni de grandeurs, puisque je ne les peux plus partager, et j’aime ma douleur plus que tout ce qu’il y a dans le monde, parce que c’est tout ce qui me reste de ma chère Marianne. Il y a une sorte de douceur dans les larmes ; la perte d’une personne qu’on aimait uniquement nous fait mourir à tout[1] ; les autres malheurs ne sont point de cette nature ; il est bien triste de cesser de vivre avant la fin de sa vie. Je n’oserais demander la mort à Dieu ; mais je l’appelle par mes désirs. Je sais que tout ce qui est au-delà de cette vie nous est caché par des voiles impénétrables à notre esprit (quoi que la vanité des hommes leur ait fait dire et penser là-dessus), et je ne suis pas assez fol pour croire qu’après la mort je reverrai cette pauvre femme que j’ai perdue ; mais je sais bien que, tant que je serai ici, je ne la verrai point, et du moins en mourant je sors par la même porte qu’elle ; et

  1. Lassay devance Lamartine :

    « Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
    Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. »

    Et Lamartine, comme Lassay, voudrait mourir. (Voir l’Isolement),