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Car les haultzboys l’ont bien chanté anuict,
Et d’ung accord, et tous d’une allenée
Ont appelé la bienheureuse Nuict.
O Nuict, pour vray, si es tu bien cruelle,
Et tes exces nous sont tous apparens :
Tu viens ravir la Royalle Pucelle
Entre les bras de ses propres Parens :
Et qui plus est, tu la livres, et rends
Entre les mains d’ung ardant, et jeune Homme.
Que feirent pis les Ennemis à Romme,
N’a pas long temps par pillage empirée ?
Or de rechef ; cruelle je te nomme :
Pourquoy es tu doncques Nuict desirée ?
Je me desdy, tu n’es point Nuict cruelle,
Tes doulx effectz nous sont tous apparens :
Tu prens d’amour, et de gré la Pucelle
Entre les Mains de ses nobles Parens :
Et qui plus est, deux Cueurs en ung tu rends
En chaste Lict soubs nuptial affaire :
Ce qu’aultre Nuyct jamais n’auroit sceu faire.
Brief, ta puissance est grande, et point ne nuict,
Ce que tu fais, on ne sçauroit deffaire :
O trespuissante, et bienheureuse Nuict.
Fille de Roy, Adieu ton Pucellage :
Et toutesfoys tu n’en doibs faire pleurs,
Car le Pommier, qui porte bon fructage,
Vault mieulx, que cil, qui ne porte que Fleurs.
Roses aussi de diverses couleurs,
S’on ne les cueult, sans proffiter perissent :
Et s’on les cueult, les cueillans les cherissent,
Prisans l’odeur, qui d’elles est tirée.
Si de toy veulx, que fruicts odorans yssent,
Fuir ne fault la Nuict tant desirée.