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La faulte d’aulcun nonce auant
Qu’il la cognoisse, ne la voye :
Mais vous, de hault savoir la voye [1]
Sçaurez par trop mieulx m’excuser
D’un gros erreur, si faist l’auoye,
Qu’un amoureux de musc vser [2].

  1. Crétin paraît s’être peu soucié de marier dans ses vers la raison avec la rime. Le sens commun est toujours sacrifié au plaisir d’étonner l’oreille par la résonnance de deux rimes dont les syllabes semblables se représentent aussi loin que possible dans le vers. Cette tentative obtint d’abord un succès de nouveauté ; mais fort heureusement Crétin ne compta qu’un petit nombre d’imitateurs. Quelques uns d’entre eux, en s’appliquant à le suivre, réusirent parfois à le surpasser. Comme échantillon, il nous suffira d’une citation empruntée à l’œuvre d’un des fidèles amis de Crétin, François Charbonnier, qui fut secrétaire de François Ier au temps où celui-ci n’était encore que duc d’Angoulême. Dans un manuscrit, où les vers des deux poètes s’entremêlent en un fraternel assemblage, on lit à la première page en regard de la signature Charbonnier, la pièce suivante : Quiconques est maistre passé,
    Sans tousser crache celle note ;
    Lors pourra il paistre Macé
    En disant : mâche cette crote.
    Mais s'il veut charrier mal l’hoste,
    Voulant trop vendre le palet,
    Il fauldroit marier Charlote
    Ou faire pendre le varlet,
    Le follet qu’on foulle de coups,
    C’est saison quand doubte sa dame.
    Le loup faist son coulle dessoubz,
    C’est raison qu’on foute sa femme.
    (B. N., ms. 1711, fol. 1.)

    Malgré la faveur que ces fantaisies poétiques pouvaient obtenir au vu & au su de Marot encore à ses débuts, nous inclinons à penser que le jeune poète mettait autant d’ironie que de déférence dans son pastiche.

    Dans un Dictionnaire des rymes, publié en 1572 par J. Lefebvre, nous avons trouvé quelques vers qui semblent sortir du même moule que ceux de Marot. Nous avons cru y voir un avertissement à l’adresse des fanatiques de la rime pour les mettre en garde contre de pareilles exagérations :

    Quand je marche parmy la voye
    Et voy la fille qui lave oye,
    Je dis, mon Dieu, si ie l’auoye
    De très bon cueur j’en mangeroye.

  2. Depuis sa découverte, le musc fut toujours en grande faveur dans le monde de la galanterie. Il n’y a point lieu d’attribuer à d’autres vertus qu’à son parfum la saveur dont il jouissait. Le musc était souvent employé sous forme de grains pour les colliers & les chapelets. C’est ainsi que, dans un compte de la maison du roi, réglé en 1537 à Dominique Rota, marchand de Venise, nous voyons figurer « soixante patenostres de paste d’ambre gris & de musc couvertes d’or » (L. de Laborde, Comptes des bâtiments du Roi, t. II, p. 235). Dans un pamphlet célèbre publié contre Henri III sous le nom de l’Île des Hermaphrodites, il est parlé entre autres bijoux « d’une grand chaisne qui estoit en deux ou trois doubles de grains de musc ». Enfin, d’après ce que donne à entendre ici Marot, les amoureux ne savaient pas toujours modérer leur enthousiasme pour cette odeur dans l’espérance des bons effets qu’ils en attendaient sur l’objet aimé, et ils allaient jusqu’à l’abus : Leurs habits sentoient le cyprès
    Et le musc si abondamment,
    Que l’on n’eust sceu estre au plus près
    Sans esternuer largement. (Martial d’Auvergne, Are/la Ancorum, prologue).